Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2018). Corentin Sellin propose une analyse de l’ouvrage de George Hawley, Making Sense of the Alt-Right (Columbia University Press, 2017, 232 pages).
Nulle expression n’a eu plus de succès pendant la campagne présidentielle 2016 aux États-Unis que l’alt-right, concept fourre-tout désignant la droite nationaliste blanche
(« suprémaciste ») qui semblait faire un retour en force derrière la candidature Trump. La première qualité du livre vif et bien écrit de George Hawley, professeur de science politique de l’université d’Alabama, est d’en donner une définition beaucoup plus rigoureuse. L’alt-right désigne ces groupes d’anonymes à faible coordination pullulant sur internet depuis 2015, sur les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, ainsi que sur les blogs et forums. Ils y défendent une doctrine centrée sur la création d’États peuplés exclusivement de Blancs sur le territoire actuel des États-Unis, y compris par la déportation des populations non blanches. Mais Hawley démontre que l’alt-right a bouleversé les méthodes et le recrutement du suprémacisme blanc par rapport au Ku Klux Klan ou aux néo-nazis.
D’une part, l’alt-right emploie sur internet l’ironie nihiliste (par exemple l’usage des
« mêmes » tel Pepe la Grenouille) et l’humour agressif caractérisant la pratique du trolling. George Hawley remarque que l’alt-right est difficile à connaître du fait de cette dérision permanente envers le politiquement correct que ses membres retournent contre la presse en diffusant des fausses informations sur leur cause. Le trolling produit aussi des campagnes massives de dénigrement sur internet de personnes jugées hostiles à l’alt-right. Durant la campagne 2016, l’alt-right a harcelé en ligne le stratège républicain Rick Wilson et l’animateur conservateur de radio Erick Erikson car ils avaient pris parti contre elle. D’autre part, l’auteur démonte l’idée reçue d’une alt-right avatar nationaliste du conservatisme traditionnel, qui serait née, par exemple, des campagnes présidentielles d’un Pat Buchanan en 1992 et 1996. Son livre montre que l’alt-right recrute d’abord des jeunes hommes blancs de moins de 35 ans, sans aucune culture politique avant leur insertion dans les réseaux de socialisation nationaliste et identitaire sur internet. Ils sont le plus souvent diplômés d’université mais privés de la mobilité sociale escomptée, et le reprochent aux conservateurs, « traîtres » à la cause économique et sociale de leur identité blanche.
George Hawley établit enfin une distinction nette entre Donald Trump et l’alt-right qui ne le considère pas comme un des siens. Trump fut pensé par cette nouvelle extrême droite identitaire en outil de « disruption » de la scène politique, renversant le conservatisme traditionnel et sa position dominante à droite. Et il a diffusé dans le grand public des idées compatibles avec l’alt-right (comme le Muslim ban), préparant la conquête culturelle de celle-ci, à l’image de ce que Hawley appelle « l’alt-lite », c’est-à-dire les figures publiques non affiliées quoique popularisant ses thèmes (Ann Coulter, Milo Yiannopoulos). On comprend mieux, à lire George Hawley, la joie exprimée après l’élection de Trump par Richard Spencer, figure centrale mais non dirigeante de l’alt-right, dont il a forgé le nom en 2008. Cette joie fut énoncée en ces mots terrifiants et vite reniés par le président :
« Hail Trump. Hail our people. Hail victory. »
Corentin Sellin
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