Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2018). Helin Karaman propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Dominique Lorrain, Métropoles en Méditerranée. Gouverner par les rentes (Presses de Sciences Po, 2017, 320 pages).

Cet ouvrage est issu d’un projet de recherche coordonné par Dominique Lorrain, qui s’est intéressé aux modes de gouvernement des métropoles des pays dits du Sud. Comme dans un précédent volume (qui traitait de Shanghai, Mumbai, Le Cap et Santiago du Chili), il s’agit de montrer que les quatre grandes métropoles du sud de la Méditerranée étudiées, Beyrouth, Le Caire, Alger et Istanbul, à la croissance urbaine rapide, aux institutions souvent jugées défaillantes, ne sont pas pour autant ingouvernables et en proie au chaos. La méthode est identique : appréhender le fait métropolitain par l’analyse de ses institutions et de ses réseaux techniques.

Rédigés par un spécialiste de la ville en question (Éric Verdeil pour Beyrouth, Pierre-Arnaud Barthel pour Le Caire, Taoufik Souami pour Alger, Jean-François Pérouse pour Istanbul), les quatre chapitres valident des hypothèses communes. Première hypothèse, dire que les métropoles du Sud ne sont pas gouvernées est faux, car les réponses apportées par les habitants à certains problèmes collectifs (tels le logement ou l’accès aux services) et la mise en place de réseaux techniques constituent des « gouvernements de fait ». Sur ce point, Beyrouth joue le rôle de contre-exemple et justifie ainsi sa place dans l’ouvrage, alors que son statut de grande métropole est discutable. Deuxième hypothèse, l’idée que ces métropoles sont soumises au néolibéralisme global est à nuancer, car même si la rhétorique est similaire, le foncier et le secteur de la construction restent aux mains des acteurs locaux. Dernière hypothèse, et apport principal de cet ouvrage par rapport au précédent, les villes du sud de la Méditerranée présentent deux spécificités. La fabrique urbaine, c’est-à-dire la production du cadre bâti, qui regroupe les réseaux techniques et les activités de construction (bureaux, commerces, logement), est la principale activité économique d’Alger, de Beyrouth, du Caire et, dans une moindre mesure, d’Istanbul. L’autre spécificité mise en évidence, la violence intrinsèque au Moyen-Orient, convainc cependant un peu moins lorsqu’elle est envisagée comme facteur commun.

Enfin, il faut comprendre le titre « gouverner par les rentes » comme une proposition d’explication des mécanismes de pouvoir à l’œuvre dans ces métropoles sud-méditerranéennes. Des coalitions d’élus, de propriétaires fonciers, d’agences publiques, et de petites ou grandes entreprises du BTP s’y partagent les rentes foncières ou urbaines, selon des processus similaires de transformation urbaine à forte valeur ajoutée, que ce soit l’étalement urbain à Istanbul, la politique des villes nouvelles au Caire, ou l’urbanisation des terrains agricoles périphériques et des petits bourgs à Alger et à Beyrouth. Si ce système perdure malgré son iniquité apparente, c’est parce qu’il permet de fournir des emplois et du logement à beaucoup parmi les couches plus modestes. À la suite des travaux récents sur le Global South, cet ouvrage affirme des arguments nécessaires pour envisager le sud de la Méditerranée comme une région développant ses propres modèles et des solutions adaptées à son contexte urbain, loin des bonnes pratiques occidentales en termes de gouvernance et d’aménagement urbain que certains voudraient y exporter.

Helin Karaman

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