Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2018). Rachid Chaker propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Christophe Jaffrelot et Laurence Louër, Pan-Islamic Connections: Transnational Networks between South Asia and the Gulf (Hurst, 2018, 288 pages).

Les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, et l’intervention internationale en Afghanistan qui a suivi, ont braqué les projecteurs sur une région jusqu’alors peu connue du grand public occidental. Les populations d’Europe découvrirent alors sur leurs écrans les madrasas pakistanaises et afghanes, où des jeunes enfants apprenaient dès leurs premières années la langue arabe et la récitation du Coran. Ces lieux d’apprentissage furent perçus comme le vecteur de transmission de la radicalisation religieuse, conduisant à l’adoption de doctrines rigoristes débouchant parfois sur la violence. Dans ce contexte, le rôle des monarchies du Golfe, et de l’Arabie Saoudite en particulier, dans le financement de ces structures et la propagation du wahhabisme en Asie du Sud, a été pointé du doigt.

L’ouvrage dirigé par Christophe Jaffrelot et Laurence Louër réunit des contributions de spécialistes internationaux sur les liens entre les pays du Golfe et l’Asie du Sud, notamment l’Inde et le Pakistan. On y apprend notamment que, bien qu’existantes, les relations entre musulmans du Golfe et d’Asie du Sud furent peu développées avant le XIXe siècle, le rigorisme religieux du Moyen-Orient ne convenant guère aux populations des Indes, plus proches d’un soufisme qui se voulait ouvert et tolérant. Toutefois, l’ouverture du canal de Suez, la répression qui suivit la mutinerie de 1857 aux Indes, et la proclamation du Califat ottoman vont permettre la naissance de fortes interactions, avec influences religieuses réciproques.

La naissance du Pakistan en 1947, qui se voulait un État islamique, et la volonté des dirigeants Bhutto puis Zia d’obtenir des financements pour leur programme nucléaire, vont progressivement rapprocher le Pakistan de l’Arabie Saoudite, qui verra dès lors d’un mauvais œil l’influence iranienne dans la région. La guerre d’Afghanistan (1979-1989) fut un accélérateur. Soucieux de combattre l’envahisseur soviétique, le Pakistan, via ses services de renseignement dont l’Inter Services Intelligence (ISI), fera transiter des armes et des fonds, en provenance notamment du Golfe, renforçant ainsi le poids des groupes religieux armés dont le régime des talibans sera une émanation quelques années plus tard, et ce avec la bénédiction des dignitaires religieux saoudiens, dont le grand mufti Ibn Baz.

L’Arabie Saoudite n’est pas le seul État du Golfe à s’être intéressé à cette partie de l’Asie. On apprend dans cet ouvrage que les Émirats Arabes unis ont de longue date entretenu des liens forts avec des groupes talibans afghans : Jalaluddin Haqqani aurait en effet autrefois visité les Émirats, et y aurait rencontré les plus hauts dignitaires du pays. Le Qatar n’est pas en reste. La volonté du petit émirat de peser sur la scène internationale l’a poussé à s’impliquer dans le processus de réconciliation afghan, bousculant parfois son rival et voisin saoudien. La question des financements privés du Golfe à destination de l’Asie du Sud est également abordée, tout comme le rôle de l’Iran dans cette partie du monde.

Cet ouvrage riche et complet retrace avec précision l’historique des connexions entre ces deux sous-régions asiatiques que sont le Golfe et l’Asie du Sud, leur état actuel, en offrant au lecteur des clés essentielles pour comprendre les enjeux géopolitiques liés à ces complexes régions.

Rachid Chaker

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