La rédaction a le plaisir de vous offrir à lire ce second article, « Comprendre la résilience de la République islamique d’Iran », écrit par Pierre Pahlavi, professeur au Collège des forces armées canadiennes, et paru dans notre nouveau numéro de Politique étrangère
(n° 3/2018), « Sorties de guerres ».

Jusqu’à peu, les astres semblaient alignés pour un retour en grâce de l’Iran. Sur le plan interne, la présidence d’Hassan Rohani emportait la promesse d’une ouverture politique et économique. Sur les plans régional et international, la contribution iranienne à la lutte contre Daech et l’accord nucléaire du 14 juillet 2015 offraient à la République iranienne l’occasion de redorer son blason, et l’espoir d’une réintégration dans le concert des nations. Déjà, Paris, Londres, Berlin et Ottawa œuvraient à renouer les liens diplomatiques avec Téhéran et, sans laisser l’encre de l’accord nucléaire sécher, Airbus et Total se ruaient vers le pays des mollahs pour y signer des contrats.

L’élection de Donald Trump rebat les cartes et hypothèque la normalisation du statut de l’Iran au sein de la communauté internationale. Dès son investiture, le nouveau président opère un virage à 180 degrés, en rompant le dialogue avec Téhéran et en renforçant les liens avec les Israéliens et les Saoudiens. Leur offrant son soutien indéfectible, Trump met à exécution sa promesse de déchirer l’accord de 2015. À nouveau relégué au rang de paria, l’Iran se voit menacé d’être neutralisé, et cantonné à sa sphère d’influence pré-2011. À ces revers s’ajoute une résurgence de la dissidence interne. Fin 2017-début 2018, des manifestations – les plus importantes depuis 2009 – éclatent à Méched, fief du président Rohani, puis dans d’autres métropoles du pays. Les manifestants défilent aux cris de « Mort au Guide ! », « Mort au régime ! ».

Dans quelle mesure ces développements risquent-ils de modifier la trajectoire de la politique de sécurité iranienne et d’influer sur l’évolution externe et interne du régime ? Pour déterminer les tendances qui marqueront les prochaines années, il faut replacer cette politique dans le contexte de ses objectifs fondamentaux, de ses moyens stratégiques, des résultats obtenus jusqu’ici, des obstacles auxquels elle se heurte et des options qui s’offrent désormais à elle – autant de prismes qui permettent de mieux entrevoir l’évolution et l’avenir du régime.

Des objectifs pérennes

Revenons d’abord sur les impératifs qui guident la politique étrangère iranienne ainsi que sur les raisons culturelles, géopolitiques, historiques et stratégiques qui les sous-tendent. Cette politique s’articule autour de deux axes majeurs : d’une part, l’objectif interne de garantir l’indépendance nationale de l’Iran et de préserver le régime islamique et, d’autre part, l’objectif externe de constituer autour de l’Iran une sphère d’influence protectrice pouvant servir de marchepied pour le développement de son rayonnement régional et international.

Loin d’être l’apanage des seuls nationalistes ou d’une élite intellectuelle, l’aspiration au rayonnement international découle de la nostalgie d’une grandeur passée et de la fierté qu’ont les Iraniens d’être les héritiers d’une civilisation plurimillénaire. Cette prétention est une constante de leur histoire qui, en dépit des éclipses de la civilisation perse, s’incarne aussi bien dans le kémalisme des Pahlavi que dans le nationalisme d’un Mossadegh, dans l’approche offensive (Tahajomi) d’un Ahmadinejad que dans la stratégie de détente (Tashanojzedai) d’un Rohani. Cette volonté de puissance, qui transcende les obédiences idéologiques et les époques, constitue la première des tendances lourdes qui continueront d’influencer la politique internationale de l’Iran.

Motivée par cette ambition, la politique étrangère iranienne l’est aussi par un profond sentiment de fragilité géopolitique. Un sentiment qui découle d’abord de l’histoire chaotique de l’Iran et de la suite incessante d’ingérences de toutes sortes qui l’ont ponctuée – des conquêtes macédoniennes à l’opération Stuxnet de 2010. Cette succession ininterrompue d’interférences étrangères a cultivé chez les Iraniens un syndrome de citadelle assiégée, qui se traduit par la croyance quasi paranoïaque qu’à tout moment les puissances extérieures ourdissent des plans pour s’immiscer dans les affaires du pays, limiter sa souveraineté et mettre la main sur ses ressources d’hydrocarbures. Et Christophe Réveillard d’ajouter : « La méfiance à l’égard de ce monde par ailleurs objet de toutes les fascinations est la chose la mieux partagée en Iran. »

L’Iran ne peut compter sur aucune solidarité ethnoculturelle naturelle

Ce sentiment de vulnérabilité va de pair avec un « complexe d’obsidionalité », à savoir l’impression d’être enclavé dans un environnement régional et international particulièrement hostile. Seul pays persan et chiite dans un voisinage à majorité turco-arabe et sunnite, l’Iran ne peut compter, face aux menaces extérieures, sur aucune solidarité ethnoculturelle naturelle. À ces raisons d’un isolement iranien s’en ajoute une dernière : le pays est à la fois trop grand et trop petit. Trop grand pour ne pas attiser la convoitise des poids-lourds du jeu international. Trop petit – et donc trop faible – pour inhiber leurs appétits.

De ce double sentiment de grandeur et de fragilité émanent donc deux impératifs stratégiques : protéger la forteresse iranienne en préservant son autonomie économique et son intégrité territoriale, et projeter hors de ses enceintes son influence à l’échelle régionale. Deux réflexes d’apparence contradictoire qui, en réalité, se complètent : « Si l’Iran brave la communauté internationale, c’est qu’il sait que l’enjeu est la sanctuarisation de l’État-nation iranien, prélude à une nouvelle phase d’expansion idéologique. » La politique étrangère de l’Iran trouve toute sa cohérence dans la poursuite de cette double ligne stratégique, qui transcende les clivages idéologiques et qui a été pratiquée par tous les régimes qui se sont succédé à sa tête ces quatre derniers siècles. À moins d’un écroulement total du pays, ces deux impératifs constitueront les leitmotivs de la politique iranienne dans les court, moyen, et long termes.

Voilà pour les objectifs pérennes qui continueront à guider la politique iranienne. Mais comment et à l’aide de quels moyens ? […]

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