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L’article « Le désarmement après le traité de Versailles » a été écrit par le journaliste Thomas Genevey dans le numéro 1/1967 de Politique étrangère.

Une étude récente sur le désarmement et le contrôle de l’Allemagne de 1919 à 1927 appelle l’attention sur cet épisode quelque peu oublié de l’entre-deux guerres, dont il n’est pas inutile, avec un certain recul, de méditer les enseignements.

I. L’exécution du traité et l’opposition au désarmement (1919-1921)

Les circonstances sont connues. Dans l’esprit du Président Wilson, le désarmement devait être, sous la garantie de la Société des Nations, un des fondements de la paix. Sans doute commençait-il par l’Allemagne : mais ce n’était là que le prélude d’un désarmement général dont le principe était affirmé dans l’article 8 du Pacte. En refusant la ratification du Traité, l’entrée des États-Unis dans la Société des Nations et la garantie promise à la France, le Congrès devait laisser aux Européens, et en particulier à la France, la responsabilité de la conduite du désarmement. Or, on sait à quel point les idées de Clemenceau et de Foch différaient de celles de Wilson.

L’institution et le fonctionnement des organes de contrôle ne pouvaient qu’envenimer des relations déjà tendues entre les Alliés victorieux et une Allemagne qui ne se sentait pas vaincue. « La guerre n’est pas finie » disait Foch au général Nollet en lui confiant la direction de la commission interalliée de contrôle ; et le général von Cramon, chef de la mission de liaison allemande, mission qui allait devenir l’instrument de l’« anticontrôle », estimait, lui aussi, que la guerre n’était pas finie. De fait, si les hostilités étaient arrêtées, une petite guerre allait naître. Les contestations surgirent aussitôt sur la durée du contrôle, sur son mode d’exécution, sur les moindres détails de procédure ou de protocole.

Dès le début, le désarmement se présenta sous le double aspect des effectifs et du matériel.

La réduction massive des effectifs de l’Armée de terre à partir de l’armée mobilisée devait aboutir au bout de trois mois à une armée de 200 000 hommes et en définitive, le 31 mars 1920, à une armée de 100 000 hommes, uniquement constituée de volontaires, la conscription étant abolie. Les effectifs de la police, sans être numériquement fixés par le Traité, étaient limités par référence à ceux de l’année 1913.

Cependant la situation troublée de l’Allemagne, l’insécurité qui régnait à ses frontières de l’Est, et, ajoutons-le, l’empreinte laissée par quatre années de guerre sur la génération des combattants avaient fait proliférer des unités paramilitaires de choc ou de police. Que l’on se reporte par la pensée à ces années troubles : le désarroi de l’opinion, la faiblesse du IIe Reich, les difficultés économiques portaient déjà en soi tous les germes de l’hitlérisme. Ce n’était pas seulement la Reichswehr qu’il s’agissait de démobiliser, mais aussi ces ligues, ces sections de protection, ces gardes civiques, ces corps francs dont les uns étaient plutôt gênants pour le gouvernement allemand, mais dont les autres lui étaient fort utiles pour maintenir l’ordre et asseoir son autorité contestée. Aussi, à peine le Traité de Versailles était-il signé que le gouvernement allemand demandait la révision des clauses relatives aux effectifs. En même temps, une action clandestine s’efforçait de tourner ces mêmes clauses, que ce fût sous l’impulsion discrète de la direction de la nouvelle Reichswehr, ou à l’initiative d’éléments isolés de l’armée, agissant de concert avec les corps francs et les ligues. Le gouvernement légal désavouait cette action ; peut-on dire qu’il la réprouvait ? Les organisations illégales se dressaient bien en quelque sorte contre lui, et c’est au détriment de son autorité qu’elles gagnaient de l’influence en symbolisant l’esprit de résistance en face de la position officielle, celle de l’exécution du Traité. Mais leur action venait appuyer celle du gouvernement dans le sens d’une atténuation des conditions de Versailles. De ces organisations, celles qui trouvaient le plus de faveur auprès des dirigeants du IIe Reich étaient les formations de gardes civiques, sortes d’auxiliaires de police où se fondaient des groupes d’auto-protection, de combattants du front, et que les autorités régionales avaient organisées pour assurer l’ordre public. Leur maintien en sus des effectifs autorisés pour la Reichswehr et pour la police fut refusé par la commission de contrôle.

Selon le Traité de Versailles, la réduction des armements devait se dérouler parallèlement à la réduction des forces, pour aboutir le 31 mars 1920 à un niveau final correspondant aux forces armées autorisées à cette date. Les excédents devaient être livrés aux Alliés ou détruits. On sait comment la flotte livrée à Scapa-Flow fut sabordée.La livraison et la destruction des armements terrestres et aériens ne se prêtaient pas à semblable coup de théâtre. Les difficultés allaient venir du désarmement industriel qui devait maintenir les armements de la nouvelle Reichswehr dans les limites autorisées.

D’un côté, le désarmement exigeait le démantèlement des usines de guerre ; mais, de l’autre, toute atteinte au potentiel économique de l’Allemagne, demeuré intact après la défaite, réduisait d’autant la capacité de production sur laquelle les Alliés comptaient prélever les réparations en nature prévues dans le Traité. Entre les usines d’armement et les autres, la frontière est souvent imprécise. En Allemagne, comme chez tous les belligérants, toute l’industrie avait été plus ou moins convertie à l’effort de guerre. Fallait-il donc étendre le démantèlement à l’extrême limite, au risque d’aggraver un chômage déjà critique, et de provoquer une crise économique et sociale ? C’est aux couches laborieuses de la population qu’allaient se heurter les agents du contrôle et ceux qui passaient pour leurs complices, les organes de liaison allemands. En même temps, chez les Alliés, des divergences se faisaient jour entre la commission des réparations et la commission de contrôle, la première tendant à freiner, la seconde à accélérer le désarmement de l’industrie. Ces conflits internes furent largement exploités par l’Allemagne. Finalement, le point de vue économique l’emporta ; ce fut le bureau de liquidation des matériels de guerre, à Berlin, section de la commission des réparations, qui reçut la responsabilité du désarmement industriel ; il fut aussi admis que la « suppression » des moyens de production d’armes et de munitions, prévue à l’article 168 du Traité, ne s’étendrait qu’aux moyens de fabrication non reconvertis aux fabrications pacifiques.

Ce même article 168 faisait aux puissances alliées l’obligation de désigner limitativement les établissements qui seraient autorisés à fabriquer du matériel de guerre au profit de la Reichswehr réduite. Il y eut à ce sujet d’interminables marchandages. A la fin de 1920, on envisageait une liste de sept usines : en 1926, on devait en admettre trente-trois.

Force était aussi de corriger certaines dispositions inutilement rigoureuses du Traité de Versailles. L’article 171 interdisait la production et le stockage des gaz toxiques et des masques à gaz. Ce dernier point ayant soulevé des protestations justifiées, la conférence des ambassadeurs réautorisa l’équipement de la Reichswehr en moyens de protection contre les gaz, et, par voie de conséquence, l’étude des procédés de guerre chimique. Ainsi la remise en cause du Traité était parfois provoquée par le caractère excessif de certaines de ses clauses.

D’ailleurs, la commission de contrôle ne tarda pas à constater que l’industrie chimique échappait pratiquement aux investigations, en dépit des moyens importants qu’elle y consacrait. Il y a là une limitation dans l’efficacité du contrôle qui tient à la nature même des fabrications.

Le mois de mars 1920, échéance essentielle du désarmement d’après le Traité, allait être marqué en Allemagne par de graves événements intérieurs. On se bornera ici à évoquer le rôle de la commission de contrôle dans cette période troublée. […]

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