Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°3/2018). Jalel Harchaoui propose une analyse de l’ouvrage de Frederic Wehrey, The Burning Shores: Inside the Battle for New Libya (Farrar, Straus & Giroux, 2018, 352 pages).
Remarquable par son accessibilité et sa clarté, le nouvel ouvrage de Frederic Wehrey traite de la Libye depuis 2011. L’Américain ne s’attarde pas sur l’intervention militaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et de ses alliés arabes, qui prit fin en octobre 2011. Allant au-delà de la mort de Mouammar Kadhafi ce mois-là, Wehrey se concentre surtout sur les six années qui ont suivi le départ des forces aériennes de l’Occident. D’une plume vivante et humaine, il esquisse l’itinéraire accidenté, parfois vertigineux, d’un pays nord-africain aux grandes richesses et à la petite population.
L’auteur livre ici un témoignage à la première personne. Sa démarche permet au lecteur de franchir le tournant, souvent idéalisé, des printemps arabes. Si les diplomaties française, britannique et américaine se sont désintéressées de la Libye durant la période 2012-2014, le livre, lui, va dans le sens inverse. Il s’attelle à faire un lien, tant bien que mal, entre la fausse paix de novembre 2011 et le démarrage, en mai 2014, de l’actuelle guerre civile libyenne.
On découvre ainsi que le pays n’a guère été détruit en 2011. À maints égards, la Libye était debout et fonctionnait pendant les premiers mois de 2012. Durant cette période clé, plusieurs opportunités furent manquées. Depuis le choc frontal de 2014 – entre les deux principales factions libyennes – jusqu’à aujourd’hui, le livre continue à suivre l’anarchie toujours changeante du pays, dont la complexité est chroniquement sous-estimée par les non-experts. Cette continuité temporelle, mariée à une description souvent sensorielle des atmosphères si variées d’un territoire vaste comme trois fois la France, est la contribution majeure de Wehrey.
La plupart des chapitres ont été rédigés en temps réel, au fil des séjours de terrain de l’ancien officier des forces aériennes, aussi bien à l’est qu’à l’ouest du pays depuis 2011.
The Burning Shores n’est pas un ouvrage académique ; il évite le jargon abstrait des politologues et le paternalisme des sociologues : quelques universitaires refuseront sans doute de le saluer. Il est pourtant extrêmement utile. Sans sur-simplifier ni dramatiser son propos, il constitue une intelligente introduction pour tous ceux (y compris universitaires…) qui souhaitent se pencher pour la première fois sur la Libye post-Kadhafi.
Quelques reproches peuvent toutefois être faits à Wehrey. Par exemple, on détecte chez lui un certain biais en faveur de l’OTAN. En septembre-octobre 2011, les bombes françaises, britanniques et américaines avaient joué un rôle dans la dévastation de la ville de Syrte, qui deviendra en 2015 le bastion de Daech aux portes de l’Union européenne. Cette réalité n’apparaît guère.
Dans les mois à venir, d’autres ouvrages consacrés à la Libye post-2011 seront publiés, dont notamment celui du journaliste de l’agence Reuters, Ulf Laessing, et celui du professeur de Paris 8 Ali Bensaâd. En attendant, celui de Wehrey saura mériter l’attention de toute personne s’intéressant au grand Moyen-Orient actuel.
Jalel Harchaoui
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