Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°3/2018). David Cadier propose une analyse de l’ouvrage de Richard Youngs, Europe’s Eastern Crisis: The Geopolitics of Asymmetry (Cambridge University Press, 2017, 256 pages).
Centrées autour de la promotion des normes et standards européens et incarnées notamment par le programme du Partenariat oriental, les politiques de l’Union européenne (UE) relevaient jusqu’ici avant tout de logiques institutionnelles internes. Richard Youngs montre comment la crise ukrainienne a amené l’UE à amorcer un virage géopolitique caractérisé par une plus grande prise en compte, dans la définition de ses objectifs, des dynamiques de pouvoir externes et par une utilisation plus instrumentale de ses programmes de coopération.
Si le deuxième chapitre jette les bases d’un travail de conceptualisation, l’apport de l’ouvrage est avant tout empirique : il présente une image complète et détaillée des débats et mesures mis en œuvre par l’UE et ses États membres depuis le début de la crise en 2013, ainsi que des dynamiques qui ont amené à ces choix, et des limites de leur mise en œuvre. Le livre a le mérite de considérer la politique étrangère européenne dans sa multiplicité et sa diversité, c’est-à-dire tant les initiatives prises par les institutions de Bruxelles que les actions des États membres dans leurs diplomaties nationales ou dans d’autres organisations internationales (Organisation du Traité de l’Atlantique nord, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe…). Il documente, de fait, une influence accrue de ces dernières dans la formulation des politiques européennes à l’égard du voisinage oriental, tout en mettant en lumière (de façon pas toujours équilibrée) les lignes de fracture entre les différentes positions nationales.
Quant au contenu et à la mise en œuvre de ces politiques, Richard Youngs montre que la crise ukrainienne a conduit l’Europe à « atteler ses valeurs à ses intérêts stratégiques », plus que par le passé. L’UE a accru son engagement et son soutien aux pays de l’espace post-soviétique, mais en le distillant de manière plus sélective, calibrée et utilitariste, cherchant par là à en faire un instrument de puissance. Le soutien à certaines valeurs ou réformes politiques est, en effet, de plus en plus perçu par Bruxelles comme un « avantage comparatif géopolitique » sur la Russie. Pour l’auteur, la politique européenne dans la région a changé d’objectif, passant de celui d’établir un partenariat avec la Russie à celui de renforcer la résilience des structures étatiques des pays de la région – contre l’influence russe.
Cette évolution reste néanmoins partielle et incomplète. L’auteur souligne que le « virage géopolitique » de l’UE n’est « pas suffisamment résolu pour lui permettre d’atteindre ses objectifs stratégiques ». L’UE est au milieu du gué : après la crise ukrainienne, elle ne s’est ni retirée de la région, ni véritablement dotée de moyens pour y faire valoir ses intérêts. Elle a renforcé sa présence dans l’espace post-soviétique, sans acquérir de véritables leviers d’influence sur ces pays ou être en mesure de leur offrir des garanties de sécurité. En cela, la nouvelle tendance de la politique européenne s’inscrit dans la continuité de l’ancienne.
Par ailleurs, s’ils sont plus souvent évoqués dans les communiqués officiels de l’UE, les
« intérêts européens » dans la région ne font toujours pas l’objet de définitions claires et consensuelles ; aussi est-il difficile d’évaluer dans quelle mesure le changement d’approche permet de mieux les servir. Si elle est plus géopolitique, la politique européenne à l’égard de la périphérie orientale apparaît toujours insuffisamment stratégique.
David Cadier
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