Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2018)
. Marc Hecker, rédacteur en chef de Politique étrangère et directeur des publications de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Antonio Giustozzi, The Islamic State in Khorasan: Afghanistan, Pakistan and the New Central Asian Jihad (Hurst, 2018, 296 pages).

Antonio Giustozzi est visiting professor au King’s College de Londres et chercheur associé au Royal United Services Institute (RUSI). Il est reconnu comme l’un des meilleurs connaisseurs de l’Afghanistan, pays où il a travaillé pour l’Organisation des Nations unies et pour l’Union européenne. Ses précédents ouvrages – dont Koran, Kalashnikov and Laptop (Hurst, 2007) et Empires of Mud (Hurst, 2009) – ont fait l’objet de recensions élogieuses.

Il se penche ici sur la tentative d’implantation de Daech au Khorasan – terme utilisé par les djihadistes pour désigner l’Afghanistan, le Pakistan, l’Asie centrale, l’Iran et une partie de l’Inde ainsi que de la Russie. The Islamic State in Khorasan est le fruit d’un travail de terrain important, réalisé en collaboration avec une équipe de journalistes afghans et pakistanais. Au total, 121 entretiens ont été conduits, dont la moitié avec des membres de Daech.

Le résultat est d’une précision remarquable et parfois déconcertante, tant l’auteur détaille l’évolution de Daech faction par faction, mois par mois et province par province. Il ressort de ce travail que lorsque l’État islamique a annoncé la création de wilayas en dehors du Moyen-Orient, il ne s’agissait pas seulement d’un coup de communication. Une véritable stratégie a été mise en place pour tenter de transposer le modèle syro-irakien dans d’autres zones, dont le Khorasan.

Des centaines d’Afghans et de Pakistanais ont été envoyés en Syrie et en Irak pour combattre aux côtés de Daech. Une partie de ces combattants est ensuite rentrée, appuyée par des formateurs arabes, généralement envoyés en zone pakistano-afghane pour une période de six mois. Pour tenter d’assurer une cohérence idéologique et organisationnelle aux différents groupes djihadistes ayant rejoint Daech-Khorasan, Abou Bakr al-Baghdadi a successivement dépêché trois représentants spéciaux : Qari Wali Rahman, Abu Yasir al-Afghani et Abu Hamza al-Khorasani.

Antonio Giustozzi décrit précisément la structure de Daech-Khorasan, avec ses différentes commissions (finances, logistique, recrutement, propagande, etc.). Cette organisation est décrite comme relativement professionnelle, comparée à d’autres forces locales. Les combattants de l’État islamique apparaissent mieux payés, entraînés et équipés que les talibans. Le financement – qui se chiffre en dizaines de millions de dollars par an – provient essentiellement de trois sources : des taxes prélevées localement, des transferts de fonds de Daech-central et des donations en provenance du Golfe, en particulier de l’Arabie Saoudite et du Qatar. L’argent collecté a été transféré en Afghanistan et au Pakistan par le système traditionnel de hawala, et par l’intermédiaire de sociétés-écran.

L’auteur nuance toutefois la réussite de Daech-Khorasan. Ce groupe souffre de plusieurs maux. Tout d’abord, il dépend trop financièrement de soutiens externes ayant parfois des objectifs contradictoires. Ensuite, il est miné par d’intenses luttes intestines. Enfin, il s’est aliéné une partie de la population par ses méthodes brutales. Antonio Giustozzi se garde bien d’émettre un pronostic sur l’avenir de l’État islamique au Khorasan, tant les dynamiques locales sont complexes et évolutives. Son analyse mérite néanmoins la plus grande attention, et cet ouvrage devrait être lu bien au-delà du cercle des spécialistes de l’Afghanistan.

Marc Hecker

> > S’abonner à Politique étrangère < <