Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2019). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage d’Yves Aubin de la Messuzière, Profession diplomate. Un ambassadeur dans la tourmente (Plon, 2019, 400 pages).
Le livre d’Yves Aubin de la Messuzière est tout d’abord un témoignage lucide, et de l’intérieur, sur la diplomatie française dans une zone qui concentre des enjeux majeurs, celle qui de Rabat à Téhéran constitue l’épicentre des turbulences qui affectent la sécurité de la France et de l’Europe depuis plus de quarante ans. L’auteur y a fait l’essentiel de sa carrière, en poste, de la Jordanie à la Tunisie en passant par l’Irak, ou à la tête de la direction du Quai d’Orsay qui couvre la région Afrique du Nord-Moyen-Orient. Mais il s’agit également d’un témoignage sur la façon dont un ambassadeur, parfait connaisseur du monde arabe, conçoit et exerce, dans des conditions souvent difficiles, sa « profession », car comme il l’écrit, « c’est un métier qui exige les qualités d’un professionnel ». Il consacre d’ailleurs un chapitre à des réflexions très pertinentes sur le rôle des ambassadeurs, trop souvent affecté de clichés tenaces.
Dans nombre des postes évoqués, Yves Aubin de la Messuzière s’est trouvé « dans la tourmente », comme le suggère le sous-titre de l’ouvrage. Ce fut notamment le cas en Irak, où l’auteur fut envoyé « en mission sous embargo » de 1997 à 1999. À Bagdad, il observe comment, dès le mandat de Bill Clinton, la posture américaine est brutale. Les États-Unis excluent toute amorce de levée de l’embargo, alors que Saddam Hussein a effectivement démantelé son arsenal nucléaire et balistique. Washington fait nommer à la tête de la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations unies (UNSCOM), commission chargée de surveiller le démantèlement des armes de destruction massive de l’Irak, un diplomate australien, l’ambassadeur Butler. Celui-ci leur est tout dévoué et n’hésite pas à jouer la provocation, notamment lorsqu’il demande à inspecter l’intérieur des palais présidentiels. La crise ainsi suscitée par l’UNSCOM débouchera en décembre 1998 sur des frappes aériennes américaines qui ne résoudront aucun problème.
L’auteur a été profondément marqué par son passage à la direction Afrique du Nord-Moyen-Orient, dont il décrit le rôle dans un long chapitre. Il s’agit par excellence, comme il le relève lui-même, d’une « direction de gestion de crises ». Il aura à y gérer les conséquences sur le plan régional des attentats du 11 septembre 2001. Ainsi, alors même que la priorité Maghreb est clairement affichée, l’essentiel du temps du directeur est consacré au Moyen-Orient. Ce d’autant plus que le président Chirac s’intéresse particulièrement au Levant et au processus de paix israélo-palestinien, qui passe par une phase délicate. Yves Aubin de la Messuzière presse alors les intentions de l’administration Bush à l’égard de l’Irak, qui selon son homologue américain « relèvent dorénavant de l’approche idéologique de la Maison-Blanche », avec les conséquences désastreuses que l’on connaît.
Le chapitre « Un métier en mutation » montre bien l’évolution du rôle des diplomates et, en particulier celui de l’ambassadeur. Outre les fonctions traditionnelles de négociateur, celles de décrypteur et de communicant deviennent essentielles, dans un monde de plus en plus complexe, hyper-connecté, où les fake news deviennent envahissantes. Comme l’observe l’auteur, « contrairement à l’idée trop souvent reçue, le rôle des diplomates est loin d’être en déclin ». On s’en persuadera en lisant ce témoignage très personnel et convaincant.
Denis Bauchard
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