Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2019). Charles Thépaut propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Maurice Vaïsse, Diplomatie française. Outils et acteurs depuis 1980 (Odile Jacob, 2018, 496 pages).
À l’heure où l’actualité internationale est rythmée par les tweets, et où les institutions font l’objet d’une défiance considérable, se plonger dans la mécanique de l’une des plus classiques d’entre elles, la diplomatie, n’est pas un exercice évident. Des travaux journalistiques inégaux se prêtent régulièrement à l’exercice mais un examen plus approfondi semble indispensable.
Cet ouvrage apporte dans ce contexte un éclairage complet pour ceux qui souhaitent réfléchir aux objectifs et aux moyens de l’action internationale de la France. Cette étude croise sciences administratives et relations internationales, pour mettre en perspective l’ampleur des transformations de l’appareil diplomatique français depuis trois décennies.
Maurice Vaïsse s’est entouré d’un groupe d’universitaires reconnus et de diplomates éminents, qui se sont appuyés sur de nombreux travaux académiques, rapports publics et témoignages de praticiens. Le partage de la plume entre acteurs expérimentés et observateurs avisés permet d’éviter l’écueil d’une diplomatie qui se raconte elle-même, tout en livrant un récit de l’intérieur, par ceux qui ont vécu et conduit les multiples réformes évoquées.
L’ouvrage effectue un tour d’horizon de la fabrique de l’action diplomatique française : son processus de décision (et le rôle prégnant de l’Élysée), l’organisation de ses services en France (le « Département ») et à l’étranger (le troisième plus grand réseau diplomatique au monde, dont l’universalité est, non sans difficultés, préservée, et au sein duquel le rôle de l’ambassadeur doit être sans cesse réaffirmé), ses moyens (avec des réductions considérables : baisse de 40 % des effectifs entre 1980 et 2017), et ses principes et objectifs (marqués par la constance et par des problématiques structurantes, comme celle des tensions entre intérêt supérieur national et construction européenne).
Pour chacun des nombreux sujets abordés, l’ouvrage suit une même logique : rappeler les bases réglementaires, juridiques et constitutionnelles ; exposer les évolutions des structures depuis 1980 – par exemple les mutations de l’outil de coopération (qui a dû solder l’héritage colonial tout en améliorant sa gouvernance et son pilotage) – ; présenter les enjeux actuels (comme l’augmentation du nombre de Français résidant à l’étranger, ou l’entrée dans l’ère de l’open data et de la cybersécurité). Si certains auteurs expriment quelques avis tranchés, l’ouvrage adopte en général un ton prudent qui permet de poser les problématiques en laissant aux lecteurs le soin de tirer leurs propres conclusions.
Au-delà de multiples informations, l’ouvrage dresse un portrait paradoxal de la diplomatie française : agile et compétente, mais désargentée ; capable de produire des concepts structurants pour les relations internationales et actrice polyvalente du rayonnement de la France, mais toujours inquiète de son audience dans le monde ; interministérielle par essence, mais sans cesse accusée d’entre soi ; régulièrement sommée d’améliorer sa gestion, mais de fait en réforme permanente. En exposant ces contradictions, les auteurs semblent suggérer que les doutes existentiels qui parcourent le Quai d’Orsay sont inhérents à sa mission, ainsi qu’à la place de puissance active mais anxieuse qu’occupe la France.
Charles Thépaut
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