Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2019). Marc Hecker, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage de Romain Sèze, Prévenir la violence djihadiste. Les paradoxes d’un modèle sécuritaire (Seuil, 2019, 228 pages).

Romain Sèze est sociologue à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), établissement public administratif placé sous l’autorité du Premier ministre qui entretient des liens étroits avec les ministères de l’Intérieur et de la Justice. Compte tenu de ce positionnement, on pourrait s’attendre à ce que ce chercheur présente sous un jour positif les politiques publiques visant à prévenir la radicalisation et lutter contre le terrorisme. Or il se montre critique, évoquant « le caractère confus, parfois contradictoire et souvent déroutant de cet ensemble d’actions regroupées sous l’expression de “lutte contre la radicalisation” », vilipendant une « logique de bricolage » et pointant du doigt le risque de « faire objectivement le jeu de la propagande djihadiste ».

Ce que dénonce plus précisément Romain Sèze, c’est la manière dont la lutte contre la radicalisation a engendré une « confusion des politiques sociales et sécuritaires », avec le passage d’une prévention secondaire – ciblant des individus en voie de radicalisation –  à une prévention primaire – visant à « réduire les vulnérabilités sociales censées favoriser le cheminement vers la radicalisation ». Deux dynamiques ont, selon ce chercheur, contribué à cette évolution. D’une part, la mise en place d’un numéro vert permettant de faire remonter aux autorités les cas de radicalisation a conduit au constat d’une réelle diversité sociologique des personnes signalées. La radicalisation paraissant pouvoir toucher n’importe qui, il semblait important de sensibiliser l’ensemble de la population à ses dangers. D’autre part, les attentats de janvier 2015 ont été majoritairement analysés comme le « symptôme de l’effritement d’un tronc commun de valeurs institutrices du social ». D’où la nécessité de ré-inculquer ces valeurs, notamment à l’école, dans le but de renforcer la cohésion nationale.

Quand le problème des filières djihadistes vers la Syrie est apparu, les autorités ont été prises de court. Elles ont d’abord interprété la radicalisation comme une dérive sectaire, sans lien direct avec l’islam. Puis, il est apparu évident que la dimension religieuse ne pouvait être éludée. Le développement d’un « islam de France » a été vu comme une priorité, pour lutter non seulement contre Daech mais également contre le salafisme, perçu comme incompatible avec les valeurs républicaines et démocratiques. Romain Sèze – dont la thèse de doctorat portait sur les imams en France – décrit la manière dont les responsables musulmans ont été progressivement inclus par la puissance publique dans les programmes de prévention de la radicalisation. Selon lui, l’implication des imams a conduit à un « cruel paradoxe » : en contribuant à l’édification d’un islam de France, ils nourrissent « l’imaginaire dichotomique du monde dessiné par la propagande djihadiste et entériné par l’unanimisme conjuratoire de l’esprit du 11 Janvier ».

L’ouvrage de Romain Sèze pourrait bien faire quelques vagues. Espérons que son ton critique – qui a le mérite de stimuler la réflexion, même si l’on peut être en désaccord avec l’auteur – ne nuise pas à sa diffusion au sein de l’administration. Il s’agit en effet du premier livre qui retrace aussi précisément les efforts déployés par les autorités et la société civile pour lutter contre la radicalisation et le terrorisme en France.

Marc Hecker

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