Suite au sondage réalisé sur ce blog, nous avons le plaisir de vous offrir en avant-première l’article du numéro d’automne 2019 de Politique étrangère (n° 3/2019) – disponible dès la semaine prochaine – que vous avez choisi d'(é)lire : « L’UE est-elle prête pour les prochains défis migratoires ? », écrit par Matthieu Tardis, chercheur au Centre des Migrations et Citoyennetés de l’Ifri.

La crise de l’Union européenne (UE) ouverte avec l’arrivée irrégulière d’un million de personnes sur les côtes européennes en 2015 ne cesse de créer des effets, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union. Pourtant, l’élément déclencheur de cette séquence, communément qualifiée de « crise des réfugiés » ou de « crise migratoire », semble avoir pris fin. Les indicateurs utilisés pour déterminer le caractère exceptionnel du phénomène migratoire sont retombés aux niveaux antérieurs à 2015.

Les chiffres des arrivées irrégulières sur les côtes méditerranéennes ont à peine concerné 140 000 personnes en 2018 et, selon les données du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), cette tendance à la baisse se préciserait pour l’année 2019. De même, avec 580 000 premières demandes d’asile enregistrées en 2018, la situation est comparable à celle de 2014.

Un premier constat serait que l’UE a survécu à la crise. Schengen est toujours en place et les systèmes d’asile des pays les plus impactés – l’Allemagne et la Suède – ne se sont pas effondrés. Pourtant, la question migratoire reste au cœur des préoccupations des responsables européens. On lui attribue la montée des extrêmes droites, bien que dans nombre de pays celle-ci soit antérieure à 2015. Or, cette montée, avec l’enjeu environnemental, a été le principal marqueur des élections européennes de mai 2019. Vingt ans après le sommet de Tampere qui a lancé la politique commune d’asile et d’immigration, le chantier reste donc ouvert. L’appel à un nouveau pacte pour la migration et l’asile formulé devant les députés européens par Ursula von der Leyen le 16 juillet 2019 souligne que la question migratoire demeurera un sujet prioritaire pour la nouvelle Commission européenne.

Les responsables européens semblent avoir réalisé que, face aux désordres géopolitiques mondiaux mais également environnementaux, les défis migratoires sont devant eux. Mais la crise de 2015 a creusé des fissures tellement profondes entre pays européens qu’on peut craindre qu’une nouvelle crise migratoire provoque un effondrement de l’édifice européen. Les États membres sont-ils dès lors mieux préparés collectivement à un nouvel afflux de migrants ? Autrement dit, ont-ils appris de leurs erreurs ?

Pour répondre à cette question, au-delà du bilan des mesures adoptées interrogera leur efficacité et leurs effets sur la position de l’Union européenne face aux défis qui fracturent la planète. Sans se lancer dans l’impossible prospective des flux migratoires, on questionnera la capacité de l’UE à évaluer les risques liés à ces migrations. Et d’analyser dans quelle mesure le traitement de la « crise migratoire » peut affaiblir à la fois la position de l’UE face aux pays tiers, et le processus d’intégration européenne lui-même.

L’Union européenne et l’évaluation des risques migratoires

Ceux qui travaillaient sur les questions d’asile et d’immigration n’ont pu être totalement surpris de l’urgence humanitaire et du chaos politique de l’été 2015. Ces derniers résultaient de deux facteurs concomitants, pas inconnus des responsables européens. Le conflit syrien avait déjà fait fuir quatre millions de personnes en mai 2015, dont 1,8 million
avait trouvé refuge en Turquie et 1,2 million au Liban. Or la situation en Syrie, mais également les conditions de vie des réfugiés dans ces pays de premier asile, ne cessaient de se dégrader. Si l’on ajoute à cela le sort des réfugiés afghans, du Pakistan à la Turquie, et l’escalade de la violence en Irak, il était peu surprenant que l’Europe soit la prochaine étape de personnes dont l’immense majorité était en quête de protection internationale.

Les États européens n’avaient pas totalement compris l’ampleur de l’explosion du nombre de réfugiés depuis le début des années 2010, de l’autre côté de leurs frontières sud-orientales, ou sur l’ensemble de la planète. L’UE était jusqu’alors largement à l’écart de ce phénomène mondial. Et elle n’a pas su prendre à temps les mesures nécessaires. D’un côté, l’aide aux pays tiers n’a pas été à la hauteur des problèmes produits par un accueil massif de réfugiés et de migrants. Ce n’est qu’en 2014 que l’UE mettra en place un programme pour le développement et la protection régionale des réfugiés au Moyen-Orient, doté de seulement 26 millions d’euros.

À l’intérieur de l’UE, les systèmes d’accueil et d’asile n’ont pas été conçus pour des arrivées aussi subites et importantes. Surtout, en dépit de 15 ans de construction d’un régime d’asile européen commun, il est apparu qu’il n’y avait ni convergence ni respect des standards européens en matière de conditions d’exercice du droit d’asile. C’était particulièrement le cas en Grèce, État membre en première ligne et porte d’entrée dans l’espace Schengen, vers laquelle la Cour européenne des droits de l’homme avait interdit tout renvoi de demandeurs d’asile en raison des défaillances de son système d’asile dans un arrêt de 2011.

Un risque africain à questionner

Alors que près de 200 000 personnes arrivaient encore chaque mois en Grèce, l’UE et ses États membres conviaient leurs partenaires africains à Malte en novembre 2015. Le Sommet de la Valette fut l’occasion de réaffirmer les principes de solidarité, de partenariat et de responsabilité partagée, pour gérer les flux migratoires dans tous leurs aspects. Il s’agissait donc de rappeler aux États africains leurs responsabilités relatives aux départs de leurs ressortissants. Deux outils sont adoptés à cette occasion : un plan d’action détaillé et ambitieux et, surtout, un Fonds fiduciaire d’urgence (FFU). Doté initialement de 3,6 milliards d’euros – la majorité des crédits provenant de la réserve du Fonds européen pour le développement –, le FFU entend contribuer à améliorer la gestion des migrations et à combattre les causes profondes des migrations irrégulières et des déplacements forcés.

Deux mois après la déclaration du 16 mars 2016 entre, d’un côté, les chefs d’État et de gouvernement européens et, de l’autre, le gouvernement turc qui a permis de tarir les flux d’entrée en Grèce, l’UE révise son cadre de partenariat avec les pays tiers en matière d’immigration. Si le nouveau cadre diffère peu de l’approche globale sur les migrations lancée en 2005, il se distingue par son périmètre géographique prioritaire. L’Afrique est spécifiquement ciblée, dont cinq pays en particulier : l’Éthiopie, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Sénégal.

Pourquoi l’Afrique ? La question peut étonner tant est installée l’idée d’un couple migratoire Europe/Afrique du fait de la proximité géographique, de l’histoire coloniale et des divergences de développements économique, social et démographique. Pourtant, lorsqu’on regarde les données disponibles, la relation migratoire entre l’Europe et l’Afrique est moins forte qu’il n’y paraît. […]

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