Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2019)
. Dominique David, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage de Claire Demesmay, Idées reçues sur l’Allemagne. Un modèle en question (Le Cavalier bleu, 2018, 200 pages).

L’Allemagne a-t-elle raison d’avoir bonne conscience ? Cette bonne conscience un peu molle que l’on oppose souvent à l’arrogance française ? Oui. Les Allemands peuvent être fiers d’une société qui a effectué un tel travail de mémoire, long et profond, sur son tragique XXe siècle. D’un système politique qui fonctionne sur le compromis permanent, que d’aucuns taxent d’immobilisme, mais qui fait montre – même aujourd’hui – d’une remarquable stabilité. Du discret balancement du pays réunifié entre post-nationalisme et conscience nouvelle de la Heimat. D’un système social où conflits et transitions se résolvent le plus souvent par la négociation et par le droit. D’être la puissance économique dominante d’Europe, et l’une des premières puissances exportatrices du monde. D’avoir mis sur le devant de la scène, plus tôt que d’autres, l’obsession de l’écologie. D’être porteuse d’une volonté européenne constante et inclusive. D’avoir sauvé l’honneur européen en s’ouvrant en 2015 au million de réfugiés qui se pressait à ses frontières…

Certes. Et Claire Demesmay dit tout cela – sans oublier le revers de la pièce. Une division du pays qui perdure depuis la réunification. Un système politique qui s’essouffle, comme le suggèrent les difficultés du dernier mandat d’Angela Merkel. Un enfermement dans une bonne conscience économique qui risque de séparer Berlin de ses plus grands partenaires européens. Un pays qui a du mal à traduire ses discours européistes dans des choix politiques concrets. Une société où la baisse numérique du chômage se paie de la précarisation et de la hausse de la pauvreté. Où les excédents budgétaires s’appuient sur une baisse des dépenses publiques qui menace investissements et infrastructures. Où le discours écologique n’oblige pas au respect des engagements internationaux. Et où, peut-être – horreur ! – l’extrême droite est de retour (certes, moins qu’en France…).

C’est un voyage informé, et donc heureusement contradictoire, que nous organise l’auteur, naviguant entre de multiples sujets ouverts à débat. On relèvera qu’au nombre des thèmes traités, trois au moins pourraient donner lieu à des développements ultérieurs. Tout d’abord, la RDA et son héritage : elle n’est ici présente – et c’est fort significatif d’une certaine bonne conscience de l’Ouest – qu’au travers d’une déploration sur l’état économique des länder de l’Est, et de l’imputation récurrente d’une « tentation autoritaire » – comme dans la RDA d’hier on renvoyait le nazisme sur la RFA. La dimension militaire : il faudrait détailler le rapport complexe qu’entretient la société allemande – bien au-delà de ses leaders – à la Bundeswehr et au militaire en général, qui explique le positionnement international de Berlin beaucoup plus que les obstacles juridiques et constitutionnels. Enfin, il manque une « idée reçue » capitale dans ces pages : le rapport « pathologique » de nos chers voisins au droit – pathologique au sens où un Allemand est tenté de penser le droit comme une thérapie en soi. Vision qui sépare, mieux que le Rhin, deux sociétés : outre-Rhin, on veut que le droit organise les sociétés humaines ; en France, qu’il les régule.

Le livre de Claire Demesmay remet quelques pendules à l’heure, et en détraque d’autres. Il constitue une efficace introduction à de nouvelles discussions : les partenaires de vie sont toujours moins simples qu’on les imagine, ou qu’on les rêve.

Dominique David

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