Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2019)
. Thomas Posado, spécialiste de l’Amérique latine, propose une analyse de l’ouvrage de Paula Vasquez Lezama, Pays Hors Service. Venezuela : de l’utopie au chaos (Buchet/Chastel, 2019, 224 pages).

L’ouvrage de Paula Vasquez Lezama est un récit écrit à la première personne, regroupant une série d’anecdotes de terrain ou plus intimes, de réflexions politiques et même de reprises de rumeurs présentées comme telles, avec parfois quelques redites. Ce n’est donc « pas un travail scientifique » selon l’aveu même de cette anthropologue qui a l’honnêteté de présenter objectivement son parcours de Franco-Vénézuélienne, fille d’universitaires. Son positionnement politique est clair : opposante aux gouvernements d’Hugo Chávez (1999-2013) et Nicolas Maduro (2013-), elle ne partage pour autant ni le point de vue des politiciens modérés qui participent coûte que coûte à des élections manipulées, ni celui des manifestants les plus radicaux qui mènent des actions de rue jugées « irresponsables » par l’auteur. Dans le cadre de la polarisation réactivée au Venezuela depuis le début de l’année 2019, Juan Guaidó est un « espoir » pour Paula Vasquez Lezama.

Le principal mérite de cet ouvrage est de décrire le quotidien de la tragédie que vit le peuple vénézuélien : situations kafkaïennes pour trouver de la nourriture, difficultés pour parvenir à se soigner, abus de pouvoir à tous les échelons de la hiérarchie dans le cadre d’une régression démocratique qui s’accroît ces dernières années. Paula Vasquez Lezama connaît bien ces réalités et sait décrire les souffrances et humiliations que vivent les Vénézuéliens au fur et à mesure de l’effondrement de leur État. 

On peut néanmoins déplorer qu’elle utilise son ouvrage pour régler des comptes avec la France insoumise – même si ce parti émet des contre-vérités sur le Venezuela – mais aussi pour disqualifier des spécialistes – Janette Habel, Olivier Dabène, George Ciccariello-Maher, Renaud Lambert, Temir Porras, etc. – qui connaissent fort bien l’Amérique latine en général et le Venezuela en particulier et dont le seul tort est d’avoir un point de vue différent. 

Le parti pris de l’auteur nuit à la compréhension du lecteur, à qui l’histoire du Venezuela est présentée à travers le prisme de l’opposition. Des termes différents et normatifs sont employés pour décrire des réalités similaires, selon qu’une action émane du gouvernement ou de l’opposition. Ainsi, tel mouvement social avant la présidence d’Hugo Chávez est considéré comme une « émeute » ; sous la présidence de Chávez ou Maduro, il accède au rang de « révolte ». La tentative de coup d’État d’Hugo Chávez en 1992 est qualifiée
d’« événement sanglant », celle organisée contre lui en 2002 serait une simple
« maladresse ». En outre, parmi d’autres détails, tel candidat d’opposition à l’élection présidentielle de 2018 est présenté comme un « proche de Chávez », sans mentionner qu’il a rompu avec lui huit ans plus tôt.

La crise vénézuélienne mérite des ouvrages plus nuancés. Un autre livre récent, celui de Maurice Lemoine intitulé Venezuela, chronique d’une déstabilisation (Le Temps des Cerises, 2019), présente cette crise à travers un prisme politique diamétralement opposé. Il est regrettable que l’édition française reproduise une polarisation idéologique qui néglige les complexités de la situation vénézuélienne.

Thomas Posado

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