Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2019). Jérôme Marchand propose une analyse de l’ouvrage de Michael Cotey Morgan, The Final Act: The Helsinki Accords and the Transformation of the Cold War (Princeton University Press, 2018, 424 pages).
L’ouvrage de Michael Cotey Morgan enrichit grandement la littérature sur les relations internationales de la période 1945-1991. Son étude examine en détail les négociations diplomatiques qui ont conduit à l’adoption de l’Acte Final de la Conférence d’Helsinki (été 1975), mais évoque aussi les réactions ambivalentes de certains pays signataires.
La grande richesse du livre est liée à la diversité des points de vue. L’auteur a consulté une masse considérable de sources écrites, mêlant archives officielles, mémoires, textes académiques, récits de presse, documents personnels. Il en a tiré une synthèse équilibrée, riche en micro-anecdotes et en observations de terrain, qui donne la mesure du travail remarquable mené par les diplomates professionnels. Le professeur Morgan a également pris soin de restituer les systèmes de contraintes – crises de légitimité en cascade – dans lesquels évoluaient les principaux détenteurs d’enjeux au tournant des années 1960-1970, ainsi que les changements de leadership survenus de part et d’autre de l’Atlantique au même moment. Ce double éclairage se montre très utile. Il permet de mieux comprendre les représentations élaborées que se faisaient les stratèges des deux blocs (Richard Nixon et Henry Kissinger, Léonid Brejnev et Andreï Gromyko, Willy Brandt et Hans-Dietrich Genscher, Georges Pompidou), au moment où les échanges préparatoires ont démarré, puis comment ils ont cherché à infléchir le contenu des engagements multilatéraux à leur avantage, avant et après la signature des accords.
Plus concrètement, ce travail méticuleux met en évidence les appréhensions, les incertitudes et les aveuglements du Kremlin. Brejnev avait, semble-t-il, à cœur d’éviter un nouveau conflit dévastateur. D’après Morgan, il aurait vu dans la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe un moyen de figer les frontières Est-Ouest, de désamorcer la question allemande, mais aussi de s’assurer un accès aux technologies occidentales de pointe, indispensables pour combattre la perte de compétitivité des économies socialistes et le déficit de puissance du Pacte de Varsovie. Ce programme avait un fond de cohérence. Cependant, les dirigeants soviétiques n’auraient pas clairement appréhendé l’ampleur des attentes sociétales des deux côtés du Rideau de Fer, ni anticipé les mouvements de bascule idéologique susceptibles de suivre l’adoption de trois « corbeilles » de résolutions non contraignantes (sécurité/économie, technologie et environnement/coopération humanitaire et droits de l’homme) mais interconnectées et placées sur un pied d’équivalence formelle. De sorte que leur stratagème se serait retourné contre eux.
The Final Act rompt ici avec l’orthodoxie. Nombre d’historiens sont portés à voir les accords de 1975 comme une transaction équitable, assurant aux deux parties des gains substantiels. Le professeur Morgan est d’un tout autre avis. Selon lui, la Conférence d’Helsinki a délégitimé les pratiques ultra-répressives des appareils de force et ébranlé le mythe de la souveraineté étatique, mythe que les Soviétiques cherchaient à consolider pour asseoir leur domination. Elle aurait ainsi établi les conditions nécessaires à la transition post-guerre froide.
L’appareil bibliographique de The Final Act est très riche. Plus de cent pages de notes complètent le propos. La circulation d’un chapitre à l’autre y est aisée. Sa lecture est donc recommandée.
Jérôme Marchand
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