Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (4/2019). Frédéric Charillon propose une analyse de l’ouvrage de Daniel Jouanneau, Dictionnaire amoureux de la diplomatie (Plon, 2019, 912 pages).

La collection des Dictionnaires amoureux est connue, et l’exercice consistant à en présenter un volume consacré à la diplomatie était une gageure. C’est à cette tâche difficile que s’est attelé Daniel Jouanneau, qui fut, entre autres fonctions, ambassadeur au Mozambique (1990-1993), au Liban (1997-2000), au Canada (2004-2008) et au Pakistan (2008-2011). L’ouvrage, imposant comme le veut le genre (plus de 900 pages), est un hommage appuyé au métier de diplomate, à la carrière de ceux qui ont fait les grandes heures de la diplomatie. Il fait office de livre d’histoire, en nous rappelant ce que fut l’action extérieure des plus grands (Richelieu, Mazarin, Disraeli, Guizot, Bismark, Metternich…). Il nous rappelle les morceaux d’anthologie et le parcours professionnel des diplomates écrivains (Saint-John Perse, Jean Giraudoux ou Paul Morand, mais aussi Beaumarchais ou Chateaubriand). Il nous fait redécouvrir des personnages moins étudiés (Gromyko, Pechkoff…).

Il fait également – partiellement au moins – office de mémoires pour l’auteur, qui s’y exprime à la première personne et nous livre ses impressions, ses anecdotes, avec des développements appréciables sur les pays qu’il a connus : ainsi une surprenante entrée « Lesotho » s’immisce-t-elle entre Alexis Léger (Saint-John Perse) et Ferdinand de Lesseps. Des portraits issus de souvenirs personnels parsèment les lignes de ce Dictionnaire, contribuant, avec le reste, à redire que la diplomatie est une affaire d’êtres humains, d’interactions entre des caractères.

Il ne s’agit pas ici d’une analyse de politique étrangère, et l’on perçoit à quel point ce terme de « politique étrangère » (qui renvoie à la formulation de grande stratégie), ne peut se confondre avec celui de diplomatie, qui implique davantage l’exécution de cette dernière. On ne trouvera donc pas ici d’entrées relatives à des épisodes de l’histoire, sinon à travers les parcours de ceux qui en furent les animateurs, ou à l’exception de quelques tournants historiques structurants, comme le Congrès de Vienne. On appréciera plutôt un hymne aux lieux de la diplomatie, avec des pages remarquables, et effectivement « amoureuses », sur les implantations diplomatiques françaises les plus exceptionnelles (comme le Palais Farnèse à Rome ou la Résidence des Pins à Beyrouth). On découvrira un florilège de citations, de mots d’esprit, de ces diplomates politiques ou écrivains (« Elle était belle comme la femme d’un autre », écrivait Paul Morand). Ou des extraits substantiels des analyses les plus subtiles, les plus pertinentes, qui ont pu nous apprendre ce que « valeur ajoutée » d’un ambassadeur veut dire : ainsi, les Souvenirs d’une ambassade à Berlin 1931-1938, d’André François-Poncet, référence s’il en est, font ici l’objet de développements précieux.

Manque-t-il quelque chose ? Oui, sans doute, car on ne peut jamais tout dire, même en près de mille pages. Davantage de diplomates étrangers (Genscher ? Patten ? Primakov ? et bien d’autres), auraient pu trouver leur place dans ce Dictionnaire très français. Quelques mots sur l’état des moyens actuels de la diplomatie française pourraient rappeler que les amoureux de cette diplomatie appellent à la préservation de son outil aujourd’hui malmené. Mais ce « long télégramme » a plus qu’accompli sa mission et mériterait donc de se terminer par la ponctuation diplomatique d’usage : « . /. »

Frédéric Charillon

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