Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Dominique David propose une analyse de l’ouvrage de Mikhaïl Gorbatchev, Le futur du monde global. Le testament politique de Gorbatchev (Flammarion, 2019, 216 pages).

On attend trop d’un texte sous-titré par l’éditeur « le testament politique de Gorbatchev » : le bilan d’une exceptionnelle expérience, une analyse informée et acérée du présent, une anticipation visionnaire…

À ces titres, ce court texte déçoit, parfois même comme une copie de Sciences-Po trop pressée de décrire le monde en quelques pages. Mais il témoigne aussi pour quelques analyses, quelques obsessions permettant d’approcher les raisonnements de la Russie d’aujourd’hui.

À tout seigneur, tout honneur : l’obsession nucléaire, ou plutôt anti-nucléaire, occupe ici une place héritée des discours soviétiques et de l’expérience des accords de désarmement de la fin des années 1980. Le nucléaire est toujours identifié par Gorbatchev comme la menace majeure pesant sur l’humanité d’aujourd’hui, et il en appelle, contre les unilatéralismes américains, à la reprise de négociations tous azimuts.

Plus intéressante, même si pas nouvelle, l’analyse de la dérive internationale qui a suivi la liquidation de la guerre froide. La fin de la bipolarité, insiste Gorbatchev, fut une décision négociée, une victoire commune, que s’est appropriée l’Occident, un Occident arrogant qui a voulu redéfinir le monde autour de ses propres intérêts, d’un pseudo-universalisme négligeant ceux des plus faibles – dont la Russie.

Une Russie dont les ouvertures n’ont jamais été saisies ; dont les intérêts n’ont jamais été considérés ; et vis-à-vis de laquelle les engagements – en particulier sur la non-extension à l’est de l’OTAN – ont vite été négligés. L’OTAN s’est prise pour le monde ; et l’Union européenne pour l’Europe, comme en témoigne la négociation sur l’accord d’association avec l’Ukraine sans nulle considération des intérêts majeurs de Moscou dans l’affaire.

Cette Russie, elle s’est pourtant considérablement renforcée sous la présidence de Vladimir Poutine, à qui Gorbatchev rend un hommage appuyé – à peine affecté d’une légère critique pour accès d’autoritarisme. « Notre peuple est plus démocratique que vous pensez »…, mais la transition vers la démocratie effective sera encore longue.

Quant à la politique étrangère russe, elle ne demande ni reconstitution de l’empire, ni formation d’une zone d’influence : Moscou veut simplement être considérée – et le discours de Munich de Vladimir Poutine est endossé pleinement par Mikhaïl Gorbatchev, qui n’y lit pas l’agressivité dénoncée par des Occidentaux surpris par le « retour » russe.

Quant aux propositions pour gouverner « un monde global », elles ne constituent pas la partie la plus passionnante de l’ouvrage, tant elles sont… globales : désarmement, écologie, social-démocratie, articulation de la politique et de l’impératif moral, revitalisation de l’ONU, sans guère de réflexion, hors ONU, sur une possible institutionnalisation de cette gouvernance mondiale.

Le texte se clôt sur un vibrant hommage de l’Allemagne et des relations germano-russes. C’est là certes la logique d’un texte probablement rédigé à destination d’un public allemand – où François Mitterrand n’est mentionné qu’en passant, une fois, dans sa réticence à la réunification de son voisin. Mais c’est aussi significatif de la liaison intime et stratégique entre les deux pays – une liaison sans doute vouée à dépasser les oppositions conjoncturelles : Berlin et Moscou se voient bien comme les deux puissances centrales du continent, même si Paris affecte de ne pas s’en rendre compte…

Dominique David

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