Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Sophie Boisseau du Rocher propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Nathalie Fau et Manuelle Franck, L’Asie du Sud-Est. Émergence d’une région, mutation des territoires (Armand Colin, 2019, 448 pages).
Cet ouvrage collectif est destiné aux étudiants passant le CAPES d’histoire-géographie : il ne sort pas de cette épure, restant un ouvrage universitaire. Il ne faut donc pas attendre des auteurs qu’ils présentent des thèses audacieuses ou des analyses prospectives innovantes. Le ton est donné dès le départ avec une introduction qui reprend les différents ouvrages dédiés à la région en France pour la présenter à grands traits. On peut regretter que ce parti pris ne mette pas assez en valeur la spécificité et l’intérêt de cette région interface, mais il s’explique par la nécessité de faire vite tout en frappant juste et efficace pour les candidats.
Efficace, ce livre l’est donc pour ceux qui découvriront la région, et auront besoin, dans les contraintes de temps d’un concours, d’appréhender un maximum de connaissances. Le découpage des chapitres est clair (on s’étonne cependant de trouver la géographie politique avant la géographie spatiale en première partie, et les territoires de l’urbain en quatrième partie alors qu’il aurait semblé logique de placer cette partie après, ou dans la géographie spatiale), et de nombreux aspects sont traités : géographie donc, développement, intégration régionale et changements sociétaux (le chapitre 9 reprend des travaux antérieurs sans donner une image vraiment à jour des dynamiques sociétales). On peut seulement regretter que les évolutions politiques soient à peine traitées en partie 1, alors qu’elles semblent constituer une clef de compréhension intéressante.
Cartographie, infographie et bibliographie sont assez complètes. On appréciera par exemple le tableau consacré à la population dans les deltas, données qu’on ne trouve pas fréquemment (la source manque, toutefois), de même que les cartes sur les espaces transfrontaliers et transnationaux : elles apportent un complément d’informations très utile et assez rare. On regrette cependant l’absence de certains grands auteurs anglo-saxons, tels Amitav Acharya ou Jürgen Ruland qui ont apporté, par leurs travaux, une analyse novatrice de la région.
C’est peut-être cela le défaut de cet ouvrage : présenter une succession de connaissances insuffisamment reliées entre elles, ou projetées dans une problématique commune à laquelle les différents spécialistes auraient pu se référer. Le résultat est certes fonctionnel si l’on s’intéresse à un sujet particulier, mais sans lien fort entre l’ensemble des sujets abordés. L’Asie du Sud-Est est une région dont la complexité d’ensemble n’apparaît sans doute pas ici suffisamment. On aurait également apprécié un chapitre conclusif plus nerveux, moins descriptif et plus prospectif : la modernité de l’Asie du Sud-Est n’est pas assez visible, une modernité parfois débridée, presque fébrile et tournée vers un avenir qui annonce de nouveaux défis.
À l’homme d’affaires pressé et avide d’une analyse nerveuse et prospective, à l’expert qui souhaite approfondir tel point, au curieux soucieux de comprendre les enjeux d’une région sensible et cruciale dans les équilibres mondiaux, ce livre n’apportera peut-être pas d’analyse décisive. Il sera, en revanche, précieux à l’étudiant impatient.
Sophie Boisseau du Rocher
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