La rédaction de Politique étrangère vous offre à (re)lire des textes qui ont marqué l’histoire de la revue.
Nous vous proposons aujourd’hui un article de Robert Strausz-Hupé, intitulé « L’avenir du monde occidental » et publié dans le numéro 4-5/1963.

Je dois à un maître sage et éclairé d’avoir été familiarisé dès mon jeune âge avec Thucydide et son Histoire de la Guerre du Péloponnèse ainsi qu’avec les Vies de Plutarque. J’en ai retiré un enseignement qui a fortement marqué mon esprit : c’est parce que les cités grecques n’ont pas su s’allier contre le danger, commun qu’elles ont péri. Philippe de Macédoine n’eut qu’à les cueillir les unes après les autres.

N’ayant à cet âge aucune expérience des hommes et de la politique, je m’interrogeais sur l’incapacité manifeste des Grecs à discerner un danger si évident pour tous et une solution à leur problème qui sautait aux yeux. C’est peut-être la même angoisse avec laquelle je suivais dans les pages de mon livre la désintégration, par une défaite commune, d’une Grèce divisée, qui m’étreint de nouveau aujourd’hui lorsque je contemple le désarroi de l’Alliance atlantique.

Par un artifice aussi vieux que le monde, il est facile, dans un débat politique, de compliquer ce qui est simple et de rendre simple tout ce qui est compliqué. Il ne devrait échapper à aucun membre de l’Alliance atlantique que l’essentiel de la puissance militaire soviétique est toujours stationné en Europe et fait face à l’Occident. Aucun changement politique, économique et social ayant pu se produire en Union soviétique depuis la mort de Staline y compris la proclamation, par M. Khrouchtchev de la politique de co-existence, ne peut changer ces faits, pas plus que ne peuvent le faire les controverses qui ont surgi entre les membres du bloc communiste, en particulier entre l’Union soviétique et la République populaire de Chine.

Au cours de ces dernières années, la plupart des débats de politique étrangère à l’intérieur des pays de l’Alliance atlantique ont été centrés sur ces changements supposés et ces controverses au sein du monde soviétique. Le monde communiste peut difficilement échapper à la loi universelle du mouvement ; une pratique communiste bien établie veut que la bataille doctrinale ait toujours fait rage parmi ceux qui briguaient la direction du parti, depuis Marx, en passant par Lénine, Staline, Trotsky et Boukarine ; et ce serait un phénomène historique sans précédent qu’aucun conflit ne surgisse entre les aspirations nationales des divers membres du bloc communiste.

En vérité, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, il y a eu des changements notables dans la structure du pouvoir en U.R.S.S., dans les relations entre pays communistes, dans la politique stratégique de Moscou vis-à-vis du reste du monde. La nature de ces changements est l’objet de recherches qui peuvent être passionnantes pour des professeurs de sciences politiques : d’un point de vue pratique, s’il s’agit de politique étrangère, nous devons nous demander si ces changements diminuent pour l’Occident les dangers de l’expansion communiste, et s’ils atténuent la sérieuse menace soviétique qui vise les membres européens de l’Alliance.

En politique étrangère, il faut, dans les rapports avec les Etats, savoir sonder leurs intentions. C’est une tâche difficile, car il n’est jamais facile et souvent impossible de jauger la profondeur des sentiments qui font agir autrui ni de faire correctement la distinction entre ce qui est dit dans l’intention de faire connaître sa pensée et ce qui est dit de façon à mieux dissimuler ses motifs véritables.

Les communistes ont toujours cherché à tromper les « capitalistes » et les « impérialistes » sur leurs intentions. Le langage dialectique marxiste que les communistes utilisent pour se comprendre entre eux, pose bien des problèmes de sémantique ; c’est pourquoi il nous appartient d’examiner ce que nous pensons être les buts communistes à la lumière de leurs possibilités. Dans le cas de la confrontation de l’Alliance atlantique avec les puissances de ce qu’on appelle le Pacte de Varsovie, il appartient à l’alliance occidentale de mener son jeu d’après les possibilités militaires de l’alliance orientale.

En disant ceci, je n’ai pas ajouté grand chose à ce qu’un enfant ignorant des subtilités de la haute politique aurait pu trouver de lui-même. Cependant, il semble que tous les hommes d’Etat occidentaux ne soient pas guidés par cet instinct logique et je l’admets, simpliste.

M. Khrouchtchev, lorsqu’il commente les vertus de la coexistence pacifique, est très persuasif. Les démocraties occidentales se laissent mieux convaincre encore par des solutions de facilité et des formules alléchantes qui leur promettent, en matière de sécurité militaire, la paix au plus bas prix.

Je suis assez vieux pour me souvenir de cette aube d’espoir qui s’était levée au moment du pacte Briand-Kellog, il y a trente-cinq ans de cela. Une vague d’optimisme semblable à celle qui, avant la Seconde Guerre mondiale, avait balayé les capitales occidentales, avait semblé surgir, ces derniers temps, dans les mêmes capitales, à Londres et à Washington surtout. Si nous insistons sur le fait que les péroraisons de M. Khrouchtchev sont destinées avant tout aux oreilles de ses camarades du parti et non à l’opinion publique occidentale, et que la politique étrangère soviétique continue à se durcir dans la pratique, on nous accuse d’un scepticisme grincheux — à moins qu’on ne nous attribue des arrière-pensées plus ténébreuses encore.

D’après une revue très lue aux Etats-Unis et réputée bénéficier de la confiance de l’Administration américaine, le plus grand problème actuel n’est pas l’expansionnisme communiste, mais la réticence que montrent certains alliés européens des Etats-Unis à suivre les Américains sur le chemin de la détente. La revue fait carrément allusion au désir de l’Administration de conclure un pacte de non-agression entre les puissances atlantiques et les puissances du Pacte de Varsovie. […]

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