Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2020).
Théo Clément propose une analyse croisée des ouvrages d’Anna Fifield, The Great Successor: The Divinely Perfect Destiny of Brilliant Comrade Kim Jong-un (Public Affairs, 2019, 336 pages) et de Chung Min Lee, The Hermit King: The Dangerous Game of Kim Jong-un (All Points Books, 2019, 320 pages) .
Journaliste au Washington Post, Anna Fifield a dirigé son bureau de Tokyo entre 2014 et 2018, d’où elle a notamment couvert la politique nord-coréenne, et s’est elle-même rendue douze fois en République populaire démocratique de Corée (RPDC). The Great Successor est présenté comme une biographie de Kim Jong-un, mais tente en fait souvent – et maladroitement – de s’appuyer sur la trajectoire personnelle du dirigeant nord-coréen pour décrypter certaines des dynamiques politiques nord-coréennes actuelles.
La centralisation thématique de l’ouvrage autour de Kim Jong-un n’est jamais justifiée, et le lecteur intéressé aux questions – difficiles – du pouvoir réel de Kim Jong-un face à d’éventuelles factions politiques internes, de l’émergence d’une société civile nord-coréenne, ou du poids des acteurs internationaux, restera sur sa faim. L’ouvrage s’abîme dans un sensationnalisme daté, recensant souvent sans les discuter les aspects les plus bizarres – et les moins vérifiables – de la Corée du Nord, sans que l’on comprenne bien ce que cela vient ajouter à l’analyse. Alors que le caractère « totalitaire » de la Corée du Nord n’est remis en doute par personne, et que l’on s’interroge plutôt sur les modalités de la gouvernance du pays, on peut se demander quel est l’intérêt de revenir une fois de plus sur les loufoqueries supposées mais invérifiables de Pyongyang, sans comprendre véritablement leur lien avec la personne de Kim Jong-un.
The Hermit King de Chung Min Lee fait preuve d’un point de vue conservateur relativement proche de celui de l’ouvrage de Fifield, mais se révèle plus solidement ancré dans les faits et sans doute plus rigoureux dans son approche. Tout comme The Great Successor, The Hermit King est centré autour de la personne de Kim Jong-un, mais propose une discussion beaucoup plus large sur les dynamiques politiques qui animent la Corée du Nord, offrant même des éclairages historiques succincts mais clairs, utiles au lecteur à la recherche de clés de lecture autres que la traditionnelle grille du totalitarisme. L’ouvrage se clôt sur une présentation très fouillée de la crise nucléaire, dont l’auteur est un éminent spécialiste.
Cet ouvrage, écrit par un think tanker et ancien ambassadeur de la très conservatrice administration Park Geun-hye, offre un point de vue relativement classique pour un conservateur sud-coréen, qui détaille longuement les malversations du régime, tant en RPDC même qu’à l’étranger. La vision de l’auteur d’une Corée du Nord comme essentiellement et intrinsèquement « mauvaise » (evil) le conduit malheureusement à un traitement un peu simple de certaines questions extrêmement complexes, comme celle de la réunification future de la péninsule coréenne. S’il évoque plusieurs scénarios possibles dans son chapitre final, Lee se concentre presque exclusivement sur un écroulement annoncé de la RPDC, et ce quand bien même il reconnaît lui-même que le régime semble particulièrement stable. Par ailleurs, on s’étonnera notamment du fait que la bibliographie – étoffée – ne comprenne pas ou peu de sources nord-coréennes, lesquelles auraient pu faire l’objet d’un traitement critique, apportant ainsi une strate analytique supplémentaire à l’ouvrage.
Théo Clément
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