Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2020).
Morgan Paglia, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Thomas X. Hammes, Deglobalization and International Security (Cambria Press, 2019, 288 pages).
Thomas X. Hammes, ancien colonel des Marines et chercheur à la National Defense University, esquisse ici l’avenir de l’ordre international à l’heure de l’automatisation de la production et du repli des nations sur leurs voisinages régionaux.
Il dresse d’abord un constat : sur le plan économique, les grandes puissances dépendent de moins en moins des échanges internationaux (marchandises, services, investissements) pour assurer leur croissance. Ce phénomène, largement entamé après la crise de 2008, va s’accélérer sous l’effet des transformations technologiques de la révolution industrielle qui se profile, et bouleverser les équilibres socio-économiques et stratégiques.
L’industrie manufacturière se transforme. Le poids de la robotisation, la diffusion des imprimantes 3D, alliés à la hausse des salaires en Chine – futur ex-« atelier du monde » – érodent petit à petit le paradigme économique dominant depuis les années 1990, qui consistait à délocaliser les emplois manufacturiers dans les pays à bas salaire. Le retour de la production s’opère avec des robots industriels ou collaboratifs, travaillant le plus souvent en coordination avec des humains pour des coûts horaires défiant toute concurrence.
Le secteur de l’énergie connaît lui aussi des transformations majeures : entre la croissance rapide des niveaux de rentabilité des énergies propres, l’électrification généralisée de la production et, aux États-Unis, la production interne de pétrole et de gaz de schiste, il devient de moins en moins nécessaire d’importer du pétrole et du gaz de l’étranger. Ces dynamiques replacent progressivement les circuits de production près des consommateurs. Elles réduisent l’interdépendance des nations, et en particulier celle des États-Unis avec les régions les plus éloignées. Pris ensemble, ces facteurs risquent de générer un monde plus « balkanisé », et de restaurer les velléités hégémoniques des puissances tutélaires dans différentes régions.
Ces transformations technologiques auront également un impact sur les conflits armés. L’essor et la diffusion des nanotechnologies, des armes à micro-ondes, de l’Intelligence artificielle, des drones, permettront d’acquérir du renseignement plus aisément. Ils offriront aux puissances émergentes et à divers groupes armés la capacité d’interdire l’accès d’une puissance extérieure à leur territoire. Les rapides progrès réalisés dans le domaine des missiles – l’essor de l’hypervélocité, les technologies de missiles embarqués qui permettent d’ores et déjà de doter à moindre coût des navires civils de capacités militaires… – donneront des moyens supplémentaires à des acteurs de second rang pour faire face aux adversaires les plus sophistiqués. L’évolution actuelle conférera une supériorité tactique certaine à la défense.
Face à ces transformations, certaines armées opèrent encore avec des schémas obsolètes, et paieront donc demain un coût plus important pour leurs interventions. Si l’on ajoute à cela les facteurs internes susceptibles d’influer sur la décision d’intervenir militairement (poids de la dette, rejet grandissant des opinions de l’interventionnisme), on peut penser que les dirigeants américains devraient travailler sur deux axes : transformer les organisations militaires pour les rendre plus agiles, et inciter leurs alliés à adopter ces nouvelles technologies bon marché pour gagner en autonomie.
Morgan Paglia
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