Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2020).
Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre Energie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jeremy Rifkin, Le New Deal vert mondial. Pourquoi la civilisation fossile va s’effondre d’ici 2028… Le plan économique pour sauver la vie sur Terre (Les liens qui libèrent, 2019, 304 pages).
Jeremy Rifkin a souvent été considéré comme un précurseur et le sera encore pour son New Deal vert mondial. Pour lui, la nouvelle révolution industrielle est en marche et va bouleverser nos modes de vie, de travail, de produire et de consommer. Elle est à portée de main : l’internet des objets – le pilotage intelligent et à distance optimisant tous les processus, notamment l’offre et la demande d’énergie – se déploie partout ; le coût de déploiement des énergies renouvelables est en baisse constante ; les technologies de stockage sont prometteuses, et celles permettant le pilotage des réseaux, de l’offre et de la demande d’électricité, permettront une électrification croissante par les énergies renouvelables ; l’efficacité énergétique peut progresser partout. Le nouvel ordre sera celui de la « glocalisation », chacun étant acteur du système économique et énergétique à part entière, en étant interconnecté grâce aux solutions digitales.
Le processus est irréversible. L’auteur salue l’Union européenne et la Californie, en tête des efforts de transition énergétique, rappelant que même sous Trump une partie des États-Unis reste mobilisée dans le cadre de l’accord de Paris. Face à l’urgence climatique, la technologie et la finance (via les fonds de pension) vont transformer les économies, de gré ou de force : le risque des actifs échoués, la pression des assurances, et la finance verte vont bouleverser la donne. Le Big Oil devra s’adapter ou disparaître.
Cette analyse fascinante n’en tombe pas moins quelque peu dans la facilité, apportant peu de nouveautés par rapport aux ouvrages précédents. L’auteur dispose d’une grande aura, mais donne peu de clés opérationnelles. Il raconte ses rencontres et conversations avec les chefs d’État, maires et autres PDG, les travaux de conseil de ses équipes, mais le lecteur n’a aucune idée des solutions concrètes qu’il apporte, ni de la manière dont elles seraient mises en place. Or la transition est un long chemin, rude, inégal, coûteux, dont il faut assurer et répartir le prix et les financements. Elle peut creuser les inégalités, susciter le rejet, nourrir le populisme.
La dimension géopolitique et les tensions sur les technologies bas-carbone sont ici ignorées, comme si la transition devait être bienheureuse et évidente partout. On aurait aussi aimé lire des analyses et messages forts pour l’élection présidentielle américaine, tant pour les Démocrates qui ont érigé le changement climatique comme l’un des principaux sujets de campagne, que pour les Républicains chez qui s’opère un début de prise de conscience. Si les entreprises américaines et certaines villes et États (loin d’être majoritaires), embrassent la troisième révolution industrielle, les États-Unis restent pour l’heure les pourfendeurs d’un Green Deal mondial, au lieu d’en être les leaders technologique et politique.
Ce pourrait être l’enjeu d’un nouveau livre pour cette année, qui apporterait aussi des solutions opérationnelles pour concevoir les stratégies de relance. Pour le moment, le seul Green Deal politique qui vaille est européen. Et il est incertain. Mais Rifkin pointe incontestablement un enjeu clé : les villes seront le fer de lance de cette troisième révolution industrielle.
Marc-Antoine Eyl-Mazzega
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