Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2020).
Maxime Danielou propose une analyse de l’ouvrage d’Andrei P. Tsygankov, Russia and America: The Asymmetric Rivalry (Polity Press, 2019, 272 pages).

Professeur à l’université de San Francisco, Andrei Tsygankov a publié plusieurs ouvrages sur la politique étrangère russe, son rapport avec l’Occident et la perception de la Russie aux États-Unis. Celui-ci constitue une synthèse actualisée de ses précédents écrits. Il s’agit d’une analyse des relations russo-américaines dans les secteurs et aires géographiques où les intérêts des deux États se rencontrent, et souvent s’opposent. Bien qu’une importante partie du propos soit consacrée à la période suivant l’élection de Donald Trump, la réflexion s’inscrit dans un temps plus long, à compter de la chute de l’Union soviétique.

L’auteur parle d’un « système de Washington », pour qualifier le système international depuis la fin de la guerre froide, caractérisé par l’hégémonie américaine. À l’instar du « système de Paris » qui aurait fait suite à la guerre de Crimée, l’ordre mondial actuel est jugé exclusif, ne respectant pas les intérêts du vaincu : la Russie. En deux décennies, les espoirs de Moscou et sa volonté de coopérer avec l’Occident se seraient mués en une frustration menant au moment pivot de la guerre russo-géorgienne de 2008. Dès lors, Moscou et Washington se trouveraient dans une situation de « rivalité asymétrique ». Dans le rôle du plus faible, la Russie contrerait avec succès la menace occidentale en déployant une variété de moyens allant du champ militaire à celui de l’information, en dépit de ressources limitées.

Trois chapitres sont consacrés aux régions dans lesquelles la rivalité entre la Russie et les États-Unis est particulièrement marquée. L’Europe, par les enjeux économiques et sécuritaires qu’elle représente pour la Russie, y occupe une place centrale. Il est donc logique, d’après l’auteur, que la rivalité russo-occidentale ait atteint son apogée en Ukraine. Au Moyen-Orient et en Asie, Washington est confronté à l’émergence des acteurs régionaux, et au développement d’une opinion anti-américaine depuis le début des années 2000. Moscou a profité de cette situation pour nouer de nouveaux partenariats avec des puissances non occidentales, et affaiblir l’influence globale des États-Unis.

Andrei Tsygankov explore les principaux secteurs de la concurrence russo-américaine. Le nucléaire, la cybersécurité, l’énergie et l’information seraient autant d’enjeux mondiaux sur lesquels les États-Unis tenteraient de conserver leur suprématie, en essayant de limiter l’influence des puissances non occidentales. Particulièrement soumise à la pression américaine, la Russie mettrait en place une stratégie défensive basée sur la multiplication des partenariats non occidentaux. L’auteur présente ici la Russie comme championne d’un multilatéralisme permettant de compenser sa faiblesse relative en matière de puissance par une diplomatie proactive.

S’opposant à la formule de « nouvelle guerre froide » pour qualifier les relations russo-américaines, Tsygankov estime qu’un rapprochement entre Moscou et Washington reste possible sur la base de leurs intérêts communs, dont la lutte antiterroriste. Ce rapprochement serait avant tout entravé par les représentations négatives qu’ont les deux États l’un de l’autre, ainsi que par une lecture souvent opposée de l’actualité internationale. Pour inverser cette tendance, l’universitaire lance un appel aux spécialistes, afin qu’ils œuvrent ensemble à la déconstruction des stéréotypes, et à l’élaboration d’un dialogue constructif entre la Russie et les États-Unis.

Maxime Danielou

>> S’abonner à Politique étrangère <<