Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère 
(n° 3/2020)
. Pierre Grosser propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Jochen von Bernstorff et Philipp Dann, The Battle for International Law: North-South Perspectives on the Decolonization Era (Oxford University Press, 2019, 496 pages).

La TWAIL (Third World Approach in International Law, approche tiers-mondiste du droit international) a le vent en poupe depuis quelques années, déclinée le plus souvent dans des ouvrages collectifs fort onéreux.

La première étape a consisté à revisiter les fondements du droit international du XIe au XIXe siècle, afin de montrer que la plupart de ceux-ci, et notamment la souveraineté, étaient le produit de l’expérience impériale/coloniale, et qu’ils avaient divisé le monde entre « famille des nations civilisées » et « le reste ». Dans un second temps, et avec la participation d’historiens qui ont fouillé les archives, c’est le droit de la guerre (et le droit humanitaire), la création des organisations internationales majeures (Société des Nations unies, Organisation des Nations unies) et le régime international des droits de l’homme qui ont été revisités pour en extraire le substrat impérial/colonial, et pour rappeler les inputs venus de juristes de la « périphérie ». La troisième vague revient sur les combats du Sud dans les années 1960-1970 pour changer les règles du système international. Ces combats semblent avoir été vains, notamment celui du Nouvel ordre économique international, emporté par la vague néolibérale des années 1980.

Cet ouvrage collectif revient en introduction sur la chronologie de ce bras de fer Nord-Sud. Puis sont déclinés quelques-uns de ses thèmes majeurs, comme la question raciale, les droits de l’homme, le rôle des firmes transnationales, la reconnaissance des mouvements de libération nationale, l’héritage commun de l’humanité (avec peu de développements, paradoxalement, consacrés à la souveraineté sur les ressources naturelles). L’échec du Sud à peser sur l’évolution des institutions, notamment la Cour internationale de Justice et la Banque mondiale, est ensuite abordé. Enfin, le livre présente certains acteurs, notamment des juristes (R.P. Anand et Mohammed Bedjaoui notamment), mais aussi l’Union soviétique, qui semble aujourd’hui devoir être presque réhabilitée pour son rôle dans les régimes juridiques d’après-guerre et son soutien aux luttes émancipatrices du Sud. On notera la contribution d’Emmanuelle Tourne Jouannet sur Charles Chaumont, qui rappelle le rôle important que des juristes français et francophones ont tenu dans ces débats, notamment dans les années 1970.

Ce tour d’horizon est indispensable, non seulement pour les juristes, mais pour les historiens et les politistes. On regrettera que trop peu de contributions utilisent vraiment les archives, et surtout l’importante production historique récente sur ces questions. On regrettera aussi que les pays du Sud ne soient pas plus différenciés, avec une approche de leurs stratégies, mais aussi de leurs coalitions et de leurs rivalités, et que les acteurs politiques n’apparaissent pas davantage. Ce n’est là qu’un appel à travailler sur un grain plus fin.

Pierre Grosser