La rédaction a le plaisir de vous offrir à lire ce second article de Florence Faucher et Colin Hay, « Breaking up is hard to do : Royaume-Uni et Union européenne après le Brexit », publié dans le nouveau numéro de Politique étrangère (n° 4/2020), disponible depuis le 7 décembre.
Pour un vrai politiste, n’est prévisible que ce qui est inévitable. Et aussi longtemps que les choses demeurent politiques, elles ne sont pas inévitables. Le Brexit a toujours été, et restera, politique. Il n’y a donc rien d’inévitable dans la prospective des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE), au court, moyen, ou long terme. Et si rien n’est inévitable, rien n’est connu à l’avance. Les relations politiques, comme les relations sociales, se nouent, se renouent, se rompent à travers des processus qui les déterminent. Et, comme on va le voir, une rupture est rude à consommer : en l’occurrence elle est difficile à conclure, elle laissera traces et cicatrices.
Par nature, la relation entre l’UE et le Royaume-Uni peut évoluer selon des logiques et avec des résultats très divers, à tous horizons imaginables : on pourrait donc se contenter d’attendre… Mais certaines solutions sont plus vraisemblables que d’autres, et même une science politique non-prédictive peut espérer identifier au moins quelques facteurs déterminants pour la future relation.
S’il est impossible aujourd’hui de savoir quelle forme de Brexit se concrétisera parmi toutes celles qu’on peut concevoir, toutes les formes de Brexit imaginables ne sont pas possibles, et tout ce qui est possible n’est pas vraisemblable. On hasardera donc ici des conjectures plus probabilistes que prédictives, en espérant qu’elles contribuent à clarifier quelques-uns des enjeux, et des facteurs qui pourraient contribuer à la résolution du problème.
Perspectives d’un accord, conséquences possibles d’un no deal
En octobre 2020, ce texte est écrit à un moment où les négociations commerciales entre l’UE et le Royaume-Uni semblent particulièrement incertaines. Le « tunnel » où elles semblent se trouver peut déboucher sur un accord du dernier moment… ou sur une voie sans issue. Les conséquences de ces deux hypothèses sur la relation entre les deux acteurs seraient radicalement différentes.
Comment pouvons-nous nous trouver, à moins de trois mois d’un éventuel Brexit sans accord commercial, à ignorer si un accord, quel qu’il soit, demeure possible ? Et que nous dit cette situation sur les motivations des parties à la négociation ? Deux points peuvent ici être soulignés.
Tout d’abord, la négociation reste ouverte, elle entre même dans une phase plus précise, plus exigeante (le fameux « tunnel ») : ceci suggérant qu’aucune des parties ne se sent en capacité de quitter la table avant la fin, et que donc chacun cherche toujours un accord. Que ceci reste vrai alors que le Royaume-Uni a menacé de rompre ses obligations vis-à-vis de l’UE (codifiées en droit international dans l’accord de transition) témoigne de la volonté d’aboutir à un accord au moins du côté de l’UE. Le sommet du 15 octobre, que Londres avait fixé comme deadline, est passé sans qu’aucun progrès n’ait été enregistré. Johnson s’est adressé aux Britanniques à la télévision, leur demandant de se préparer à un no deal et rejetant la responsabilité de la situation sur l’UE. La disposition de chaque partie à poursuivre la négociation montre néanmoins que l’obstacle ne tient pas, comme le répète le Royaume-Uni, à la personnalité du négociateur européen (qui a vu son mandat confirmé), mais à la détermination des 27 à ne pas céder aux « lignes rouges » de Londres à ce stade de la négociation. L’UE ne poussera pas Londres du haut de la falaise, mais elle ne se placera pas entre Londres et le précipice pour empêcher son partenaire de sauter : Bruxelles a renouvelé son offre et reste ouverte au dialogue.
La position du gouvernement Johnson est plus difficile à décrypter. On peut penser que le fait de risquer la réputation du pays, en affirmant son « droit souverain » à faire prévaloir son droit interne sur ses engagements juridiques internationaux, préjuge mal de la volonté de rechercher une solution négociée. Ce serait mal interpréter le signe d’une stratégie « du bord du gouffre ». Johnson et son cabinet entendent ainsi signifier à l’UE que, sauf si les bénéfices réels d’un accord commercial dépassaient largement les coûts de la mise en œuvre – contre leur volonté – d’une frontière tarifaire et commerciale dans la mer d’Irlande, ils choisiraient de ne pas avoir d’accord. L’analyse coût/bénéfice implicite est holistique : les bénéfices de relations commerciales privilégiées contre le coût de la mise en place de contrôles aux frontières justifiés par la « reprise de contrôle » sur les régimes tarifaires commerciaux. Dans cette logique, il apparaît normal que le Royaume-Uni signale son intention, en l’absence de l’accord recherché, de remettre en cause le texte qu’il avait dû signer pour en arriver à l’étape où seraient mis sur la table les termes d’un accord commercial à venir. Il s’agit bien d’une menace, qui doit être comprise comme telle, mais d’une menace venant d’un gouvernement dont la préférence va à un accord commercial qui ne l’obligerait pas à revenir sur ses obligations internationales.
Alors que les négociations avec l’UE sont longues et difficiles, et alors que les 27 leaders européens comprennent tous les logiques de troc des responsables britanniques et leurs coûts politiques internes, quatre années de reports et de complaintes réciproques ne pourraient, en cas de non-accord, que produire aigreurs et récriminations. En résulteraient sans nul doute de réels dommages de long terme pour la relation entre l’UE et le Royaume-Uni, tout comme pour les relations bilatérales de Londres avec chacun des membres de l’Union.
Accord ou non, un choc aux frontières semble inévitable, et il sera d’autant plus significatif que les milieux d’affaires britanniques ont dû plus récemment se focaliser sur la crise du COVID, délaissant la préparation aux dispositifs nouveaux (jusqu’ici inconnus) qui devront être mis en place.
Lisez l’article dans son intégralité ici.
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