Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Morgan Paglia propose une analyse de l’ouvrage de Marie-Hélène Labbé, La quête nucléaire de l’Iran (Sorbonne Université Presses, 2020, 160 pages).

Auteur d’une série de travaux sur la prolifération nucléaire, Marie-Hélène Labbé, visiting fellow à l’université de Durham au Royaume-Uni, signe ici un nouvel ouvrage consacré au programme nucléaire iranien.

Sa première partie évoque les origines de la quête nucléaire de Téhéran, notamment les ambitions du programme civil développé pendant l’ère du shah et le basculement sur un programme militaire après l’établissement de la République islamique. Arme de prestige et de sécurité, l’atome est l’outil qui répond le mieux au complexe d’encerclement iranien alimenté par les bouleversements géopolitiques de l’histoire récente du Moyen-Orient : la guerre Irak-Iran, les multiples interventions occidentales dans les pays limitrophes, et les rivalités avec les puissances du Moyen-Orient.

Les étapes de l’émergence du programme militaire n’ont pu être reconstituées qu’après 2002 – date de révélation de son existence par un groupe d’opposition iranien. Techniquement, c’est grâce à l’aide pakistanaise et au réseau d’Abdul Qader Khan, à pied d’œuvre à la fin des années 1980, que le pays lança les premières centrifugeuses nécessaires à l’enrichissement de l’uranium. Le soutien d’un autre pays allié, la Corée de Nord, partenaire indéfectible de Téhéran pendant le conflit contre l’Irak, permit dans les années 1990 de développer les premiers missiles balistiques, et notamment une version nationale des No Dong nord-coréens – rebaptisés Shahab – affichant une portée de 1 300 kilomètres. Les premières bases du programme étaient posées.

La seconde partie de l’ouvrage détaille le processus chaotique qui a opposé l’Iran à la communauté internationale, alternant phases d’imposition de sanctions et de reprise des négociations. Les espoirs ont culminé avec la signature de l’accord de Vienne le 14 juillet 2015, auquel l’auteur consacre de longs développements. Avant d’évoquer l’accord en lui-même, elle revient sur la négociation des points de blocage techniques abordés durant les 23 mois de tractation qui ont séparé la signature de l’accord préliminaire de Genève (24 novembre 2013) du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), concernant le rôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le régime de vérification de l’accord, ou encore l’agenda de levée des sanctions.

Le contexte entourant la dénonciation de cet accord en mai 2018 permet de comprendre les raisons des tensions qui ont accompagné la séquence politique récente : les différentes étapes de remise en place du programme nucléaire par Téhéran – des premières timides entailles dans l’accord de Vienne à la remise en route des centrifugeuses – jusqu’à la série de frictions irano-américaines observées début 2020 après l’élimination du général Soleimani. Au total, c’est bien la nature systémique du dossier nucléaire iranien et son entrelacement avec des sujets d’intérêts régionaux (rôle de l’Iran en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen) qu’éclaire Marie-Hélène Labbé.

L’intérêt principal de l’ouvrage est d’apporter une vision d’ensemble sur les différentes phases entre tensions et apaisement qui ont caractérisé les relations entre Téhéran et la communauté internationale. Il rappelle l’évolution des positions des différents acteurs impliqués dans les négociations avec Téhéran (Europe, États-Unis, Chine…), tout en apportant des analyses techniques utiles sur le fonctionnement de l’arme nucléaire.

Morgan Paglia

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