Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Marc-Antoine Pérouse de Montclos propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Holger Weiss, Muslim Faith-Based Organizations and Social Welfare in Africa (Palgrave Macmillan, 2020, 312 pages).
Composé de dix chapitres illustrés par de nombreux cas d’études, ce livre collectif traite de l’institutionnalisation et de la modernisation de la charité islamique en Afrique subsaharienne, notamment sous la forme d’organisations non gouvernementales (ONG). Il se focalise en particulier sur la dîme (zakat) que les musulmans sont censés payer quand leurs revenus dépassent un certain niveau appelé nisab. A priori, les montants en jeu sont assez insignifiants : quelque 200 millions de dollars officiellement collectés chaque année au Soudan, moins de dix au Nigeria. Mais la perception et la redistribution de la dîme islamique révèlent de nombreux enjeux politiques à l’heure où des fondamentalistes appellent à une application plus stricte de la charia en Afrique subsaharienne.
À travers les débats sur l’usage de la zakat et du revenu des fondations pieuses (waqf) transparaissent, en effet, des projets de société beaucoup plus ambitieux. Traditionnellement, la dîme religieuse visait surtout à aider les indigents et les clercs islamiques. Mais certains veulent aujourd’hui lui assigner un rôle d’agence de développement et de sécurité sociale (maslaha) pour l’ensemble de la communauté des croyants (umma), et plus seulement pour les pauvres. La question de la zakat met par ailleurs en évidence la fragilité d’administrations africaines qui, en général, n’ont pas réussi à encadrer ni à centraliser la collecte de l’aumône des musulmans, à la différence par exemple de l’Iran, où les comités de secours (imdad) de l’ayatollah Khomeiny ont joui d’une sorte de monopole d’État en étant les seuls autorisés à installer des boîtes à donations dans les lieux publics à travers tout le pays.
Les gouvernements du Soudan depuis 1986, de Mauritanie depuis 1997, et de certains États du nord de la Fédération nigériane à partir de 2000, sont en l’occurrence les seuls à avoir essayé de prélever la zakat par eux-mêmes. Ailleurs en Afrique subsaharienne, la collecte et la redistribution de la dîme islamique ont été gérées par des ONG ou des fondations établies : en 1980 à Zanzibar et en 2013 dans le reste de la Tanzanie ; en 1981 au Mozambique ; en 1982 à Kano et en 2000 à Lagos au Nigeria ; en 1991 au Malawi ; en 1994 en Afrique du Sud ; en 2009 au Sénégal ; en 2010 en Côte d’Ivoire et au Ghana ; en 2017 au Zimbabwe.
Même dans les républiques islamiques de Mauritanie et du Soudan, l’État n’a en fait jamais réussi à exercer le moindre monopole sur la perception de la zakat, qui a continué à transiter par des réseaux informels au niveau du voisinage et des mosquées. Dans un pays comme le Nigeria, le plus peuplé d’Afrique, ont ainsi coexisté plusieurs systèmes de collecte en parallèle, les uns opérés par les pouvoirs publics, les autres par le secteur associatif, notamment les ONG des salafistes appelés Izala.
En pratique, les expériences d’institutionnalisation de la zakat en Afrique subsaharienne sont donc restées cantonnées à une échelle locale. En dépit des espoirs qu’elles suscitent parfois, elles ne semblent guère en mesure de concurrencer l’aide publique au développement, et de répondre aux besoins – immenses – des nécessiteux. L’ouvrage dirigé par Holger Weiss n’en a pas moins le mérite d’attirer l’attention sur des aspects trop souvent méconnus des enjeux politiques de l’islam.
Marc-Antoine Pérouse de Montclos
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