Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Clément Therme propose une analyse de l’ouvrage d’Ariane M. Tabatai, No Conquest, no Defeat: Iran’s National Security Strategy (Hurst, 2020, 400 pages).

Le titre de l’ouvrage est tiré de l’expérience iranienne de la première guerre du Golfe (1980-1988) dont le bilan pourrait ainsi se résumer par « ni conquête, ni défaite ». Au-delà de l’attention particulière accordée à ce conflit, l’ouvrage a pour ambition de présenter une synthèse historique retraçant la problématique de la sécurité nationale de l’État iranien sur la longue durée. Cette approche privilégiant le temps long permet à l’auteur de ne pas se limiter à la dimension polémique de l’étude de la sécurité nationale iranienne à l’époque de la République islamique (depuis 1979).

Son argumentation sur la permanence des intérêts nationaux du pays avant et après la Révolution islamique de 1979 n’est néanmoins pas nouveau : Olivier Roy avait déjà évoqué ces éléments de continuité dans un article au titre évocateur « Sous le turban, la couronne : la politique extérieure » (publié dans Thermidor en Iran, 1993). Si l’argument n’est en soi pas nouveau, le principal mérite de cette recherche est d’offrir au grand public une vision nuancée de la construction de la notion de sécurité nationale en Iran de l’avènement de la dynastie Qadjar (1796) à nos jours.

La démonstration est convaincante quand il s’agit de montrer que la quête d’autosuffisance (khod kafai) transcende les changements dynastiques et/ou de régimes politiques. De même, l’auteur montre avec justesse la centralité de cette notion d’autosuffisance dans la construction d’une industrie de défense indépendante au lendemain de la première guerre du Golfe. Ariane Tabatabai souligne comment cette guerre a contribué à définir l’identité du régime et, dans le même temps, à montrer les contradictions entre les objectifs de la Révolution islamique et les intérêts nationaux du pays.

Le régime a aussi instrumentalisé cette guerre pour consolider son pouvoir sur la scène politique interne, en réussissant à rallier l’ensemble des Iraniens (des monarchistes aux islamistes à l’exception notable des moudjahidines du peuple) contre l’ennemi extérieur d’alors : l’Irak de Saddam Hussein. Cette guerre diffuse une image de l’Iran se résumant à un régime de mollahs irrationnels travaillant à la fin des temps. Elle renforce également la méfiance de la République islamique vis-à-vis du système international, mais aussi de puissances régionales comme l’Arabie Saoudite – qui soutient financièrement l’Irak. Enfin, force est de constater qu’existe alors une inadéquation des moyens militaires de l’Iran avec l’objectif politique affiché de la guerre jusqu’à la victoire.

Au lendemain de cette expérience historique fondatrice de la vision khomeiniste de la sécurité nationale se met en place un appareil de sécurité fragmenté, tant sur le plan institutionnel que factionnel. Le pragmatisme de la République islamique est donc très lié à cette expérience, qui montre que l’idéologie khomeiniste était certes suffisante pour gagner le combat révolutionnaire, mais ne l’était pas pour garantir la survie de l’État révolutionnaire. Si l’analyse des éléments de continuité est stimulante, on regrettera que l’importance de la dimension idéologique dans la définition de la sécurité nationale après 1979 soit sous-estimée.

Clément Therme

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