Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Julien Nocetti propose une analyse de l’ouvrage de Joëlle Toledano, GAFA : reprenons le pouvoir ! (Odile Jacob, 2020, 192 pages).

L’essai de Joëlle Toledano questionne le rôle des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) dans la sphère politique et économique mondiale, et propose des pistes de réflexion pour se libérer de leur emprise sur nos économies. Voici vingt ans, Google et Amazon étaient des start-ups, Facebook n’existait pas et Apple entamait avec le retour de Steve Jobs sa deuxième vie. Deux décennies plus tard, les GAFA font partie des entreprises les plus puissantes du monde, et la crise du coronavirus les a encore renforcées. La pandémie a en effet constitué une incontestable aubaine pour les grandes plateformes numériques, au point qu’elles figurent désormais au cœur des rapports de puissance.

Contrairement aux autres plateformes numériques, chacun de ces « empires » a réussi à sa façon à étendre ses activités pour créer de puissants écosystèmes, devenus des places fortes. Les pratiques abusives de chacun des quatre GAFA sont largement connues et documentées, sans même parler de leur savoir-faire en matière d’optimisation fiscale, de l’impact d’Amazon sur le commerce traditionnel et les emplois, ou encore des défis démocratiques significatifs posés par les contenus haineux et les manipulations informationnelles que véhiculent les réseaux sociaux.

L’ouvrage dresse surtout un constat d’échec de la régulation, qui n’agit qu’a posteriori, une fois les dérives identifiées. L’auteur suggère très justement de s’attaquer à l’opacité – terme qui revient tout au long de l’ouvrage – du fonctionnement de ces acteurs, en déconstruisant la « boîte noire » des algorithmes, en inspectant la complexité des relations économiques à l’intérieur des écosystèmes, et en comprenant les mécanismes de création de valeur par la publicité (ciblée).

Que nous disent le modèle économique des GAFA et ses conséquences sur la régulation ? Pour l’auteur, ce modèle ne s’appuie que sur des rendements infiniment croissants. Passé le nombre de clients qui permet de rentabiliser l’investissement, tous les autres génèrent du profit pur, avec une croissance exponentielle due à l’effet de réseau. S’enclenche alors une mécanique qui voit son efficacité progresser avec le nombre de données recueillies par le moteur de recherche de Google, les discussions sur Facebook, les abonnements chez Amazon, ou le magasin d’applications d’Apple. Les concurrents sont évincés ou rachetés.

Joëlle Toledano propose in fine une régulation individuelle plutôt qu’un appel au démantèlement, comme le préconisait un récent rapport de la commission antitrust de la Chambre des représentants américaine. Prendre des mesures marché par marché constituerait ainsi la solution la plus réaliste à court et moyen termes. Dans ce tableau où l’économie est omniprésente, Joëlle Toledano n’occulte pas les implications de puissance. Si le Congrès – désormais à majorité démocrate – pourrait prendre des mesures afin d’encadrer les GAFA et mieux protéger les consommateurs, « pronostiquer un accord politique de plus grande ampleur paraît peu vraisemblable ». Référence indirecte est ici faite au contexte de compétition technologique entre États-Unis et Chine, et à la réticence des décideurs américains à entraver leurs entreprises qui investissent et innovent le plus. Vis-à-vis de l’Europe, cette approche se traduit par un soutien sans faille des autorités fédérales aux GAFA quand Bruxelles ou les capitales européennes entreprennent des actions de régulation.

Julien Nocetti

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