Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Mathilde Velliet propose une analyse de l’ouvrage dirigé par François Vergniolle de Chantal, Obama’s Fractured Legacy: The Politics and Policies of an Embattled Presidency (Edinburgh University Press, 2020, 384 pages).
L’arrivée d’une nouvelle administration s’accompagne de promesses et d’espoirs d’actions transformatrices. Cet ouvrage examine pourquoi les immenses espérances de changement suscitées par l’élection de Barack Obama, alors comparé à un nouveau Franklin D. Roosevelt, n’ont pu se concrétiser. Au croisement de l’histoire et des sciences sociales, ce travail s’appuie sur l’analyse de nombreux champs et acteurs de la politique intérieure américaine, pour révéler les limites du pouvoir du président Obama, et plus largement de l’institution présidentielle moderne comme moteur de réforme sociale. Les 13 chapitres étudient les enjeux de l’héritage d’Obama liés aux institutions, aux politiques et aux mouvements sociaux.
Volontairement et involontairement, l’administration Obama a contribué à « redessiner les contours du fédéralisme américain ». La première partie de l’ouvrage révèle qu’au-delà des exceptions notables de lois votées au Congrès grâce à une « coalition favorable », le blocage parlementaire a contraint l’administration Obama à utiliser divers outils – ordonnances exécutives, interprétations législatives… – pour tenter de mettre en œuvre ses politiques. Ces initiatives fédérales ont généré une contre-réaction dans les tribunaux et le Congrès, favorisant l’élargissement de l’autorité des États et de leurs divergences politiques.
Cet examen de la lutte pour la répartition des pouvoirs entre les trois branches du gouvernement fédéral, ainsi qu’entre celui-ci et les États, se poursuit à travers les études de cas de la deuxième partie. Les tentatives de réformes de la politique d’immigration, du développement urbain et de l’assurance santé témoignent des obstacles rencontrés par l’administration Obama dans un climat d’austérité et de forte polarisation partisane. Comment alors protéger cet héritage ? Le chapitre sur l’Obamacare montre, par exemple, que les accords conclus par le gouvernement avec les groupes d’intérêts (compagnies d’assurances, associations d’entreprises) ont à la fois exposé la réforme aux critiques des Républicains et de l’aile gauche démocrate, et permis sa survie face aux assauts républicains sous l’administration Trump.
L’inspiration néolibérale et le pragmatisme prudent d’Obama (notamment sur les questions raciales) expliquent également certaines déceptions de la gauche américaine. En réponse au succès mitigé de l’action gouvernementale, différents mouvements populaires s’organisent – tels Black Lives Matter, Occupy Wall Street, ou des protestations syndicales –, décryptés dans la troisième section de l’ouvrage. En revanche, les mouvements conservateurs comme le Tea Party ne sont que ponctuellement mentionnés.
Par des analyses précises enrichies de mises en perspectives historiques, ce livre remet en question le mythe de la « présidence moderne » comme unique et toute-puissante source de changement politique et social, vision soutenue par les portraits idéalisés de certains présidents « transformateurs », tel F. D. Roosevelt. Cette vision du pouvoir présidentiel a facilité l’élection de Donald Trump, alimentée par les déceptions que ces attentes disproportionnées ne peuvent que susciter, et s’est reflétée dans son exercice du pouvoir.
L’ouvrage est donc particulièrement utile pour comprendre l’héritage d’Obama dans toutes ses nuances, mais aussi les tendances qui ont défini la présidence de Trump, et contraindront les marges de manœuvre de l’administration Biden.
Mathilde Velliet
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