Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Florian Vidal, chercheur au Centre Russie/NEI de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Sylvestre Mongrenier, Le monde vu de Moscou. Dictionnaire géopolitique de la Russie et de l’Eurasie postsoviétiques (PUF, 2020, 680 pages).

Jean-Sylvestre Mongrenier, géopolitologue et spécialiste de la Russie, nous présente ici un ouvrage qui, sous la forme d’un dictionnaire, rassemble les clés de lecture de la vision du monde selon le point de vue russe. Empruntant la forme d’un guide de référence, l’auteur détaille toutes les notions qui entourent la politique étrangère du pays et les concepts géopolitiques mis en œuvre.

Ce dictionnaire, bien fourni, ne se lit pas de façon linéaire : comme tout guide, il se parcourt selon les besoins et les curiosités du lecteur. L’introduction constitue néanmoins l’étape incontournable qui donne au lecteur les bases du démarrage. Les propos liminaires de l’auteur remettent en perspective les récents développements diplomatiques russes : tensions avec l’Occident, rapprochement avec la Chine, retour au Moyen-Orient depuis l’intervention en Syrie, place de l’Ukraine dans l’identité géopolitique russe… Avec le renouvellement géopolitique de la Russie au xxie siècle, l’auteur met en abîme les débats ouverts dans l’élite du pays sur l’orientation stratégique à adopter.

Par ses multiples entrées de lecture et ses renvois, l’ouvrage nous rapelle certains fondamentaux – eurasisme, heartland, panslavisme –, mais aussi la découverte de personnes, d’organismes et de lieux incontournables, qui pèsent dans les bases géopolitiques contemporaines de Moscou. L’itinérance suivra le seul intérêt du lecteur. À la fin de chaque entrée, l’auteur renvoie le lecteur aux thèmes associés, ce qui incite à une lecture personnalisée et assez libre.

On relèvera que les différents thèmes abordés sont de longueurs inégales : l’entrée miagkaïa sila – pouvoir doux – est définie sur deux lignes, tandis que celle sur la Lettonie s’étend sur plus de quatre pages. De la définition d’un concept à la compréhension de l’importance d’un pays, cet ouvrage recense tous les paramètres influençant la diplomatie et la stratégie russes à l’international. Ainsi la lettre « r » passe-t‑elle en revue les relations diplomatiques entre la Russie et de nombreux pays à travers le monde. L’entrée Russie/Éthiopie, par exemple, rappelle les liens noués entre les deux pays pendant la guerre froide. À présent, Moscou assume cet héritage et s’appuie sur les liens humains comme la formation d’étudiants pour maintenir une action diplomatique solide sur ce pays de la Corne de l’Afrique. L’auteur aborde aussi des lieux déterminants, comme le laboratoire Vektor, centre de recherche pour la virologie et la bactériologie, fondé à l’époque soviétique, situé dans la région de Novossibirsk en Sibérie, et qui héberge une souche de la variole.

On regrettera seulement que l’ouvrage ait fait le choix d’une organisation alphabétique simplifiée, sans appliquer de filtre thématique, et donc valoriser la richesse du contenu. L’effort de l’auteur qui n’omet aucun détail dans la description des dynamiques à l’œuvre doit pourtant être loué. En offrant un consistant outil intellectuel, ce livre constitue un manuel de géopolitique indispensable pour les étudiants et tous ceux qui travaillent sur l’espace eurasiatique.

Florian Vidal

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