Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Dominique David, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Frédéric Charillon, La France dans le monde (CNRS Éditions, 2021, 280 pages).

La question de la place du pays sur la scène internationale est l’une des plus essentielles à l’être national français, qu’on définit souvent par sa territorialité (où s’exprime la citoyenneté), et par sa capacité de projection (physique et métaphorique) dans le monde. Pour avoir toujours été posée, elle s’affirme plus dramatiquement depuis 1940. Rédimée par la geste gaullienne, un peu cachée pendant la guerre froide, elle se repose violemment aujourd’hui. Le livre que dirige Frédéric Charillon tente de définir les moteurs, les terrains, les moyens de la présence française dans le monde, une présence qui reste peut-être « structurante sans être surplombante ».

Sa démarche s’organise en une triple approche des facteurs internes (politiques, sociologiques, économiques) influant sur la posture externe de la France ; des défis contemporains : position des acteurs proches (États-Unis, Allemagne, Grande-Bretagne…), aires stratégiques d’importance (Afrique, Méditerranée, Asie-Pacifique), enjeux religieux renaissants ; enfin, de quelques instruments privilégiés : réseau diplomatique, moyens de projection de force militaire.

Au chapitre des enjeux, l’analyse de Barbara Kunz des oppositions de cultures, de projets, de moyens entre la France et l’Allemagne remet à sa juste place le rêve d’une coopération diplomatico-sécuritaire déterminante : c’est l’existence même d’un moteur franco-allemand en cette matière qui fait question. On pourra trouver étrange la double assurance de Véra Marchand : les États-Unis demeureront plus que jamais (militairement) présents en Europe ; et le Royaume-Uni va continuer à peser, diplomatiquement et militairement. Si les États-Unis voient toujours le Vieux Continent comme point d’appui fondamental de leur puissance, comment être si sûr que les modalités de leur présence n’évolueront pas avec la montée en puissance asiatique ? Quant au brillant affichage du Global Britain, le plus vraisemblable est qu’il se fracturera vite sur les réalités économiques post-Brexit. La contribution de Pierre Grosser est remarquable, qui reflète toutes les ambiguïtés de la France dans l’espace asiatique : présence asiatique équivaut-il à puissance asiatique ? Quant au chapitre que signe Joseph Maïla, il rappelle la – dangereuse difficulté qu’a la terre de la laïcité à penser durablement le religieux comme facteur de recomposition internationale.

En contrepoint de l’excellente description de l’extraversion diplomatique française qu’effectue Christian Lequesne, il est dommage que le militaire ne soit abordé que sous l’angle descriptif des déploiements et interventions extérieurs, sans que soit posée une question essentielle : que pèse l’affirmation de puissance militaire, et donc l’usage de l’instrument militaire, dans la vision spontanée que le pays a de son rapport aux autres ? Autrement dit : le militaire n’est-il pas toujours, ou d’abord, structurant quand la France se pense face aux autres ? L’ouvrage se clôt avec une réflexion sur la notion de « grande stratégie » : cette « grande stratégie », elle est la vision que l’on se forme de soi par rapport aux autres sur la scène internationale ; et dans la construction de cette vision, la distribution des instruments diplomatique et militaire est fonctionnelle.

On trouvera dans la brillante cavalcade conduite par Frédéric Charillon nombre de thèmes à approfondir, à disputer, à contester : c’est le but. À un moment crucial, conclut l’auteur : que le monde poursuive sur son erre, ou qu’il change de chemin, la place de la France devra s’y redéfinir.

Dominique David

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