Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2021 de Politique étrangère (n° 3/2021). Camille Macaire propose une analyse de l’ouvrage de Sara Hsu et Jianjun Li, China’s Fintech Explosion (Columbia University Press, 2020, 320 pages).

En seulement quelques décennies, la Chine a vécu une transformation fulgurante, passant d’un statut de pays au niveau de richesse parmi les plus faibles du monde à celui de puissance internationale de premier plan. La révolution numérique a été un ingrédient clé de cette évolution sans précédent, permettant au pays de « sauter » des étapes de développement. En premier lieu dans les technologies financières. Là où les services bancaires et financiers étaient encore à leurs débuts, des entreprises du numérique ont proposé des offres sophistiquées pour tous les segments de la finance traditionnelle. Ce chemin de développement a fait de la Chine l’un des pays les plus matures en matière de fintech, à la fois parce que ces technologies y ont été développées précocement, et du fait du nombre d’utilisateurs qui assure de gigantesques capacités d’apprentissage aux algorithmes sous-jacents. Dans le secteur des paiements par exemple, les deux entreprises dominantes, Ant Financial et Tencent, totalisent plus d’un milliard d’utilisateurs chacune.

Dans China’s Fintech Explosion, Sara Hsu et Jianjun Li explorent le chemin de développement des fintechs chinoises et ses implications économiques, réglementaires et sociétales. Les auteurs soulignent notamment les éléments clés qui ont soutenu l’essor de ces acteurs.

L’un de ces facteurs est lié aux caractéristiques du marché local. Un réseau de commerçants de proximité fragmenté, pénalisé par des infrastructures défaillantes, a par exemple créé une immense opportunité pour l’e-commerce, avant même la généralisation du modèle de supermarché à l’occidentale ; l’essor des smartphones et la faible agilité du secteur bancaire traditionnel ont ouvert la voie à l’adoption de masse du paiement mobile. D’autant que les jeunes générations sont technophiles, et promptes à tester de nouvelles fonctionnalités digitales. Par ailleurs, les perspectives de croissance restent importantes au regard du taux de pénétration, en très forte augmentation mais toujours relativement faible, d’internet en Chine.

Le deuxième élément est une stratégie de diversification permettant de très puissantes synergies. Prenons l’exemple d’Alibaba. Suite au succès de sa plateforme commerciale, lancée en 1999, le groupe propose en 2004 un nouvel outil de paiement, Alipay, rapidement adopté par ses clients. C’est aujourd’hui le leader mondial du paiement mobile. Lorsqu’en 2013 Alibaba ouvre un fonds monétaire directement accessible depuis Alipay, Yu’e Bao, la souscription est massive et rapide. D’autre part, alors que la faible perméabilité des frontières digitales de la Chine les a protégés de la concurrence internationale, l’extension horizontale de ces véritables écosystèmes sur le sol chinois alimente un important effort d’innovation.

Troisième facteur de succès : la posture relativement conciliante du gouvernement chinois. Ce n’est que récemment que les autorités ont instauré un plafond sur les paiements mobiles, plus de 10 ans après le lancement d’Alipay.

Grâce à une série de cas d’étude sur les principaux acteurs du secteur en Chine, et à une description détaillée du cadre réglementaire, les auteurs de China’s Fintech Explosion donnent un aperçu concret du développement des fintechs chinoises au cours des dernières décennies, jusqu’à leur émergence comme véritables empires.

Camille Macaire

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