Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2021 de Politique étrangère (n° 3/2021). Michaël Levystone, chercheur au Centre Russie/NEI de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Antoine Maire, La Mongolie contemporaine. Chronique politique, économique et stratégique d’un pays nomade (CNRS Éditions, 2021, 350 pages).

Antoine Maire brosse le portrait politique, économique et stratégique d’un pays qui, en l’espace d’un hiver (1989-1990), a troqué ses habits de seizième République officieuse de l’Union soviétique contre ceux d’un État souverain.

Les manifestations organisées par l’Union démocrate mongole le 10 décembre 1989, Journée internationale des droits de l’homme, marquent le point de départ d’un processus politique qui voit la Mongolie mettre fin au système du parti unique (loi adoptée le 10 mai 1990), organiser ses premières élections législatives libres (juillet 1990), puis élire le candidat démocrate Punsalmaagiin Ochirbat à la présidence de la République (juin 1993). En parallèle, la Mongolie met en œuvre une « thérapie de choc » axée sur des privatisations massives, une libéralisation des prix et une restructuration du secteur financier. Le passage d’une économie planifiée à une économie de marché provoque une crise conduisant le pays à réorienter son développement autour de la valorisation de ses abondantes ressources naturelles (charbon, cuivre, uranium, pétrole, terres rares).

Par ailleurs, la Mongolie mène une politique étrangère dite « multi-piliers », pour s’extraire des contraintes liées à son enclavement entre les géants chinois et russe. Elle cherche à s’insérer sur la scène internationale en se rapprochant de ceux qu’elle appelle ses « troisièmes voisins » – les pays démocratiques et développés comme les États-Unis ou le Japon –, et en œuvrant à la sécurité mondiale (par exemple, en adoptant un statut de « zone exempte d’armes nucléaires »).

Antoine Maire pointe subtilement les paradoxes qui font de la Mongolie un « cas hybride » des relations internationales. Exception démocratique en Asie du Nord-Est, la Mongolie n’en conserve pas moins des relations privilégiées avec ses voisins immédiats : elle est ainsi liée à la Chine et à la Russie par des accords de partenariat stratégique global. En outre, nonobstant des choix de développement antagonistes après la chute de l’Union soviétique, la Mongolie et la Corée du Nord entretiennent d’excellentes relations, qui servent de plus-value stratégique à Oulan-Bator pour développer les liens avec Washington, et surtout Tokyo (via l’organisation de rencontres entre les Japonais kidnappés par le régime de Pyongyang et leurs familles).

La Mongolie s’est dotée d’une économie de marché, mais celle-ci reste insuffisamment diversifiée. La prépondérance du secteur minier en Mongolie (« Mine-golie »), combinée à l’enclavement géographique qui limite les débouchés de ses exportations, a conduit à une dépendance vis-à-vis de la Chine – substituée à la défunte Union soviétique –, ainsi qu’à un interventionnisme croissant de l’État mongol dans le développement économique. Comment cet « État rhizomatique », où les décisions publiques se prennent de manière horizontale en fonction d’alliances traditionnelles et d’une culture du compromis héritée du nomadisme pastoral, peut-il venir à bout de sa « malédiction des ressources naturelles », et concrétiser les visées développementalistes de ses dirigeants ? Telle est la question qu’Antoine Maire pose dans cet ouvrage qui fera date par la qualité de ses analyses sur un pays peu connu et traité au regard de la fascination qu’il suscite dans l’imaginaire collectif.

Michaël Levystone

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