Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2021-2022 de Politique étrangère (n° 4/2021). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Simon Akam, The Changing of the Guard: The British Army since 9/11 (Scribe, 2021, 704 pages).

Plusieurs auteurs se sont déjà penchés sur les échecs militaires britanniques en Afghanistan et en Irak, comme Frank Ledwidge dans Losing Small Wars et Investment in Blood ou plus récemment Ben Barry dans Blood, Metal and Dust. Dans ce volumineux et brillant essai, le journaliste britannique Simon Akam se concentre sur le rôle de la culture de l’armée britannique dans ces échecs.

En 8 parties et 24 chapitres, il dresse une histoire non officielle de l’engagement britannique dans ces deux longues guerres. Il procède par épisodes, analysant notamment la préparation dans les camps d’Allemagne et du Canada, l’invasion de l’Irak, l’opération Charge of the Knights (Irak, 2008), les combats dans le Helmand, mais également l’acquisition d’équipements en urgence, les accusations de crimes de guerre ou la réforme du système régimentaire. Son propos s’appuie sur environ 260 entretiens menés durant trois ans, ainsi que sur des documents en sources ouvertes, et des observations nourries de voyages sur ces théâtres d’opérations et un engagement militaire d’une année.

La mosaïque de ces expériences brosse le tableau d’une armée éprouvant de grandes difficultés à s’adapter aux conditions des opérations à Bassora et dans le Helmand, elle qui pourtant a beaucoup vanté ses expériences en matière de contre-insurrection et qui, après la guerre du Golfe et l’intervention en Sierra Leone, était souvent présentée comme « la meilleure petite armée du monde ».

Au fil des chapitres, quelques thèmes récurrents se dégagent. C’est le cas des tensions qui se font jour au sein de la « relation spéciale » entre États-Unis et Royaume-Uni en raison des restrictions imposées aux opérations militaires par le gouvernement britannique, de certaines tactiques considérées comme dépassées ou d’un équipement inadapté mettant les soldats britanniques en danger. Simon Akam met, de même, en lumière de nombreux aspects dysfonctionnels et contradictoires de la vie militaire britannique : par exemple, l’acceptation généralisée de la consommation excessive d’alcool.

Une des grandes qualités du livre est que l’auteur pousse très souvent le lecteur à la réflexion sur des sujets peu explorés. C’est le cas lorsqu’il souligne l’impact sur le comportement des militaires de la large diffusion des vidéos de combats prises par les soldats eux-mêmes. C’est aussi vrai quand il interroge le système d’attribution de médailles, peu équitable et qui, surtout, encouragerait un comportement inadapté à une campagne de contre-insurrection en survalorisant la violence et l’agressivité au combat.

La thèse centrale de l’auteur est le manque de responsabilité du haut commandement britannique. Aucune discussion n’aurait véritablement été menée en interne pour comprendre les raisons des échecs en Irak et en Afghanistan. Surtout, dans un chapitre intitulé « Blame Game », l’auteur s’interroge : comment, lorsqu’un conflit a si mal tourné à tant de niveaux, les responsables peuvent-ils être promus et félicités pour le rôle qu’ils y ont tenu ?

On pourra reprocher à Simon Akam une vision excessivement critique de l’armée britannique, d’autant qu’il véhicule en parallèle une image avantageuse de celle des États-Unis. Ce livre constitue néanmoins une lecture indispensable pour tous ceux qui s’intéressent aux guerres d’Irak et d’Afghanistan et à l’armée britannique.

Rémy Hémez

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