Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2021-2022 de Politique étrangère (n° 4/2021). Antoine Pecqueur propose une analyse de l’ouvrage de Bruno Nassim Aboudrar, François Mairesse et Laurent Martin, Géopolitiques de la culture. L’artiste, le diplomate et l’entrepreneur (Armand Colin, 2021, 320 pages).

Après une pause forcée pendant plusieurs mois du fait de la crise sanitaire, le secteur culturel se relance, au cœur d’enjeux géopolitiques et géoéconomiques. Forte du succès de Squid Game, la Corée du Sud affirme sa puissance en matière d’industries culturelles. Et la France cherche à améliorer son lien avec les pays africains en lançant le processus de restitution d’œuvres d’art pillées pendant la colonisation ; vingt-six statuettes viennent ainsi d’être rendues au Bénin. Deux exemples qui montrent que la culture est loin d’être anecdotique dans les relations internationales. Le sujet n’ayant été que peu étudié, on ne peut que se réjouir de la publication de cet ouvrage signé de trois professeurs de Sorbonne-Nouvelle, au titre qui interpelle par son choix de mettre le terme géopolitique au pluriel.

Le sujet est abordé sous trois prismes : ceux des artistes, des diplomates et des entrepreneurs. Les auteurs s’interrogent d’abord sur le rôle des artistes, notamment face à l’épineuse question des nationalités – la figure de Léonard de Vinci a récemment fait l’objet de querelles entre l’Italie et la France, chaque pays réclamant l’exclusivité du peintre né en Toscane et mort à Amboise. On se concentre ici sur les arts visuels, mais d’autres genres pourraient donner un même écho. Les artistes se retrouvent au cœur d’enjeux qui vont jusqu’à influer sur leur esthétique.

Puis les auteurs se penchent sur le rôle joué par les États : quelles sont leurs motivations à investir dans ce secteur ? « Pour les “petits pays”, ces secteurs sont un moyen de se distinguer, d’exister à moindres coûts ; ils permettent aux puissances moyennes d’amplifier leur voix et de compenser leur faiblesse économique et militaire relative ; quant aux grandes puissances, l’art et la culture font partie des vecteurs d’une hégémonie globale ». Les auteurs s’intéressent en particulier aux États-Unis, à la Chine et à la France. Le fonctionnement des agences internationales, comme l’Unesco, est aussi analysé.

Quant à la troisième partie, elle se penche sur les industries culturelles. Les auteurs reviennent sur la domination des industries d’Amérique du Nord et d’Europe, mais aussi sur leurs mutations, notamment numériques. Certains secteurs, comme le livre ou le jeu vidéo, sont davantage liés aux groupes privés que d’autres, comme le théâtre ou la danse, ces derniers dépendant principalement des subventions publiques.

L’ouvrage se clôt habilement sur une succession de cartes, où l’on peut par exemple discerner l’implantation des centres Rousskii Mir, peu connus et destinés à populariser la culture russe. Certaines cartes manquent toutefois de lisibilité. Les données relatives à l’industrie culturelle chinoise paraissent quelque peu la sous-estimer, notamment en ce qui concerne les services de streaming.

Reste que le constat posé par l’ouvrage est implacable : « Si l’affrontement se limite au nombre de musées construits ou au nombre de brevets scientifiques déposés, il s’agira d’une guerre sans morts ni destructions, ce dont on ne pourra que se réjouir. Cela n’en sera pas moins une guerre. »

Antoine Pecqueur

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