Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). Denis Bauchard, ancien ambassadeur, propose une analyse de l’ouvrage de Michel Duclos, La France dans le bouleversement du monde (Éditions de l’Observatoire, 2021, 320 pages).
Michel Duclos propose une riche synthèse sur la place et le rôle de la France dans un monde dangereux et déboussolé. La fin de la guerre froide a déréglé la boussole stratégique que le président de Gaulle avait « léguée à ses successeurs ». Il s’est ensuivi une politique étrangère française fondée sur la priorité européenne, la gestion de crise et un « incontestable rapprochement sur le plan opérationnel avec les États-Unis ». Mais il en a résulté une « érosion du consensus » qui présidait à notre politique étrangère. La victoire américaine sur le communisme s’est accompagnée d’une « désoccidentalisation du monde », en clair une perte d’influence de l’Occident liée au choc du 11 Septembre, à la gravité de la crise de 2008 et à la montée en puissance de la Chine, à quoi s’ajoutent les effets pervers de trop nombreuses interventions guerrières qui ont abouti, notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, aux désastres que l’on connaît.
Dans un tel contexte, quel est « le monde selon Macron » ? Pour l’auteur, l’action de ce dernier relèverait pour l’essentiel d’« un réalisme de rupture ». Le président serait un « Gaulois réfractaire » qui « engrange les informations et les idées, mais son esprit les associe et les combine de façon imprévisible ». L’auteur rappelle quelques temps forts depuis 2017 : « la romance avec Trump », le « duo improbable avec Poutine », les relations avec les autocrates du Moyen-Orient. Il examine l’évolution des « grands desseins » du président.
Michel Duclos dresse un bilan sévère de la politique d’Emmanuel Macron. Qu’il s’agisse du Sahel, de la Syrie, de la Libye, du Liban, de l’Iran, de la Russie, voire du Maghreb – où l’on n’a fait que « le service minimum » –, l’auteur souligne l’absence de résultats et la perte d’influence de la France. Il explique ces échecs par diverses raisons : la personnalisation de la politique étrangère et le style du président, la mise à l’écart d’un Quai d’Orsay soupçonné d’agir comme « État profond », le décalage entre les ambitions et les moyens. On pourrait pourtant observer qu’Emmanuel Macron a dû gérer le lourd héritage de ses deux prédécesseurs.
Devant un tel bilan, l’auteur propose un « réalisme stratégique ». Il recommande un jeu européen plus marqué, une relation étroite avec les États-Unis, une solidarité avec eux sur le dossier chinois en évitant « toute équidistance », un engagement plus affirmé sur la promotion des « biens communs mondiaux ».
S’agissant de la relation avec les États-Unis, dont l’image et la crédibilité se sont encore dégradées après le désastre afghan, l’affaire des sous-marins australiens appelle une nouvelle réflexion. Celle-ci a provoqué l’une des crises les plus graves survenues entre les deux pays, qui a mis dans l’embarras des néo-atlantistes dont la pensée est dominante au Quai d’Orsay. Michel Duclos n’a pu tenir compte de cette crise, qui a montré toutes les difficultés qu’il pouvait y avoir à établir avec Washington un véritable partenariat et des liens de confiance. Au-delà des bonnes paroles, la relation franco-américaine a été affectée par cette affaire. La relation, structurellement difficile, restera dans les années à venir un problème majeur pour tout président soucieux de s’assurer que la France, « alliée mais non alignée », mènera une politique étrangère indépendante conforme à ses intérêts nationaux.
Denis Bauchard
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