Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). Hans Stark propose une analyse de l’ouvrage de Sönke Neitzel et Bastian Matteo Scianna, Blutige Enthaltng: Deutschlands Rolle im Syrienkrieg (Herder Verlag, 2021, 160 pages).
Presque aucun ouvrage jusqu’en 2021 sur la politique de l’Allemagne fédérale face à la guerre syrienne : vide comblé par Blutige Enthaltung, titre qu’on pourrait traduire par « Abstention sanguinaire ». Les deux chercheurs de l’Institut historique de l’université de Potsdam prennent l’exemple du conflit sur la période 2011-2021, examinent l’attitude de Berlin dans les crises du Moyen-Orient, montrant de manière précise et convaincante comment l’Allemagne, première puissance économique de l’Union européenne, refuse systématiquement de répondre aux attentes de ses alliés et décline toute responsabilité politique dans la gestion internationale de ces crises. Les auteurs attribuent ce refus à l’absence totale de culture stratégique dans le domaine militaire.
Ils incluent dans leur étude le contexte général qui a conduit à la guerre en Syrie, rappelant les positions prises par l’Allemagne face aux printemps arabes, à la guerre en Libye, puis en Irak avec la montée en puissance puis l’effondrement de Daech. Leur travail est donc largement consacré à l’attitude allemande face aux crises du Moyen-Orient, même si le cœur de l’ouvrage interroge le cas syrien. Sönke Neitzel et Bastian Matteo Scianna montrent ainsi qu’à chaque fois qu’un recours à la force armée a été discuté entre Occidentaux, fût-ce par le biais de livraisons d’armement ou l’envoi de Casques bleus, Berlin a adopté une posture d’obstruction favorisant le statu quo (nonobstant la « ferme condamnation » officielle de la politique d’Assad).
Les auteurs soulignent ainsi qu’à peine le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) Ban Ki-moon avait-il proposé une mission internationale de paix en février 2012 que Berlin excluait déjà d’y participer. L’Allemagne n’a finalement envoyé qu’un seul officier d’état-major dans la nouvelle mission UNSMIS, quand d’autres États européens agissaient plus rapidement et avec plus de détermination. Lorsque l’Organisation du traité de l’Atlantique nord a élaboré des plans d’intervention militaire fin 2012, Berlin a vivement critiqué cette décision. L’Allemagne n’était pas prête à concourir à un objectif qu’elle avait elle-même formulé : mettre fin au règne d’Assad, ce qui a pu contribuer au sauvetage de son régime. Lorsque le président américain Barack Obama a menacé de lancer des frappes aériennes après une attaque au gaz toxique en août 2013 – proposition soutenue par la France avant que Washington ne se rétracte –, l’Allemagne a désavoué ses deux principaux partenaires, faisant savoir qu’elle entendait attendre les rapports de l’ONU : un attentisme qui a fini par saper toute position occidentale commune sur la prévention de l’usage de gaz toxiques.
II a fallu attendre la terreur de l’État islamique, la féroce répression contre les Yézidis et les attaques terroristes en France pour que la position de Berlin évolue prudemment à partir de 2015. Tout en restant largement passive, l’Allemagne livre dès lors des armes aux peshmergas kurdes en Irak, et soutient la formation de l’armée irakienne. Mais son intervention est restée limitée par rapport à celles de nations souvent plus petites. Même des États de taille moyenne comme le Danemark, la Norvège ou les Pays-Bas se sont plus impliqués que l’Allemagne, qui « a fait preuve d’un nombrilisme national grotesque », pour les auteurs d’un ouvrage qui, pour être très mesuré, traduit clairement les contradictions de la politique étrangère allemande.
Hans Stark
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