Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). Nina Soulier propose une analyse de l’ouvrage d’Alain Blum, Françoise Daucé, Marc Elie et Isabelle Ohayon, L’âge soviétique. Une traversée de l’empire russe au monde postsoviétique (Armand Colin, 2021, 432 pages).

Alain Blum, historien et démographe des déportations staliniennes, Françoise Daucé, sociologue travaillant sur la société civile en Russie, Marc Elie, historien spécialiste de l’environnement en URSS et du Goulag, et Isabelle Ohayon, historienne des sociétés d’Asie centrale, proposent un manuel qui analyse l’histoire de l’Union soviétique (1917-1991) dans le « temps long ». Le cadre temporel choisi (1905-2021), qui englobe la fin de l’empire russe et l’ère postsoviétique, permet de replacer de multiples problématiques liées à l’Union soviétique dans un contexte historique et social plus large.

Après un premier chapitre synthétisant l’histoire politique, les auteurs abordent huit « dimensions » de l’URSS : la question des nationalités, les ouvertures sur le monde, la violence d’État, la démographie, l’économie, les arts, les sciences et la contestation sociale. Se basant sur une historiographie récente, renouvelée par des spécialistes d’horizons divers depuis l’ouverture des archives, ce manuel met en lumière les interactions entre le régime et différents segments de la population soviétique au fil des transformations politiques du « long XXe siècle ».

Chaque problématique est introduite par son héritage impérial, puis analysée dans son articulation soviétique et prolongée dans son évolution contemporaine. Le découpage thématique du livre permet de retracer pour chaque sujet continuités et grandes ruptures entre les trois grandes époques, et ainsi de remettre en question des idées préconçues, notamment le caractère intrinsèque de l’autoritarisme russe, l’isolement total de l’Union soviétique, ou l’absence de toute contestation… Il apporte des réponses nuancées à de nombreuses « grandes questions » de l’histoire soviétique, dont celles de la pertinence d’une comparaison avec le nazisme, de la continuité du régime russe actuel avec l’autoritarisme soviétique et impérial, du rôle « catastrophique » de la perestroïka, ou encore de l’impérialisme russe sous ses formes ancienne et actuelle.

L’étendue temporelle de l’analyse ne permet pas d’étudier en profondeur chaque aspect. Toutefois, des rubriques « focus » mettent en valeur certaines découvertes de l’historiographie récente, comme les lettres des citoyens adressées au pouvoir et scrutées par les services de sécurité, ou encore le rôle du cinéma dans les débats révolutionnaires. Dans un ouvrage plutôt factuel, le quatrième chapitre se distingue par sa théorisation de la violence d’État. Il propose une analyse poussée des mécanismes d’escalade de la violence organisée lors des purges staliniennes. Ce chapitre met en lumière l’ascension de la police politique comme agent central de l’économie et de la société staliniennes, dont certaines traces subsistent encore aujourd’hui en Russie avec un nouvel ordre policier et une faiblesse judiciaire.

Cet ouvrage constitue un manuel de référence, riche et actualisé, pour un public étudiant ou féru d’histoire. Il permet de contextualiser les sujets étudiés dans un cadre temporel et régional plus vaste. Ce dernier point pourrait pourtant être développé : en dépit d’une perspective pansoviétique, les analyses post-1991 restent majoritairement centrées sur l’évolution de la Fédération de Russie, et n’apportent que peu d’éléments sur les nouveaux États indépendants, comme la Biélorussie, l’Ukraine ou les républiques d’Asie centrale.

Nina Soulier

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