Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). François Chimits propose une analyse de l’ouvrage de David Baverez, Chine-Europe : le grand tournant (Le Passeur, 2021, 208 pages).
David Baverez publie un deuxième livre destiné à expliquer aux Français – l’une de ces « sociétés de la peur » – comment mieux appréhender la Chine de Xi Jinping – cette « société de l’ardeur ». L’idée directrice est explicitement de contribuer à fonder pour le XXIe siècle des liens sino-européens semblables aux liens transatlantiques du XXe siècle, dans l’objectif cette fois de « défier les États-Unis ».
Le livre se compose d’entretiens fictifs entre Xi et des figures européennes caricaturales : un éditorialiste parisien épris des droits de l’homme ; un industriel allemand friand des nouvelles technologies de l’information ; un gérant de family office suédois spécialisé dans le secteur numérique, etc.
Contrastant avec des intervenants européens aux analyses grossières, la parole plus structurée prêtée à Xi déroule le « narratif » officiel du Parti communiste chinois (PCC), entremêlé de poncifs essentialistes sur les Chinois. Ainsi, le PCC n’est pas un parti politique mais « celui de la civilisation chinoise ». Le contrôle de la population devient une nécessité absolue pour le développement. L’absence de liberté politique est une « tradition historique » d’une population préférant l’intérêt collectif aux droits individuels. L’absence de démocratie permet la promotion de la compétence dans le seul souci de l’intérêt collectif. D’ailleurs, la surveillance des réseaux sociaux réaliserait cette démocratie directe clamée en Occident : miracle d’une « tech-cratie » agile que le livre oppose aux lourdeurs de la « tech-no-cratie »…
Les performances économiques du régime sont aussi élogieusement traitées. Le réservoir de croissance serait « beaucoup plus grand que généralement perçu », avec pour seul argument l’élévation des chinois ruraux (40 % de la population) au niveau de consommation de leurs concitoyens urbains. En outre, le régime chinois « n’aura jamais à affronter le problème des retraites, car – loué soit Confucius ! – la génération de Chinois âgés continuera à travailler jusqu’à sa mort ». Voilà qui devrait ravir un PCC réticent à rehausser l’âge officiel de la retraite, actuellement autour de 55 ans en moyenne. Il sera aussi heureux d’apprendre que les déboires boursiers de 2015 sont le fait du « courage des régulateurs » qui ont su prévenir une bulle financière sur un marché chinois qui s’était pourtant félicité d’une hausse de 150 % en un an. Quelques critiques sont tout de même formulées : les gabegies liées à l’interventionnisme industriel, ou l’affirmation prématurée d’un mercantilisme industriel braquant ses partenaires.
Parallèlement, l’Europe est dépeinte comme un continent vieillissant, incapable de se réformer, en dépit de vertus héritées de son glorieux passé. Face à ce contraste si éclatant, l’Européen finit par demander à Xi de venir « insuffler à nos leaders européens le triptyque de Deng Xiaoping, vision, détermination et courage qui semble cruellement leur manquer ».
N’importe : le livre qui s’ouvre sur la présentation par Xi aux hauts dignitaires du PCC de velléités mercantilistes vis-à-vis de l’Europe alors que les États-Unis restreignent l’accès à leurs technologies, se clôt par une épiphanie vantant une étroite coopération sino-européenne. Une relation forcément « gagnante-gagnante », insiste le livre qui reprend allègrement l’un des grands slogans de Pékin dans sa campagne en faveur d’une refonte de la mondialisation sur la base des standards et préférences du PCC.
François Chimits
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