Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). Nicolas Hénin propose une analyse de l’ouvrage de Myriam Benraad, Terrorisme : les affres de la vengeance (Le Cavalier bleu, 2021, 224 pages).

Si le lien consubstantiel entre terrorisme et vengeance paraît évident pour le terrorisme d’inspiration djihadiste, il l’est moins pour d’autres idéologies soutenant des violences politiques passées. L’ouvrage reprend une longue et encyclopédique histoire du terrorisme, depuis les sicaires de Judée jusqu’à l’IRA ou l’ETA, Baader et le Hezbollah, couvrant l’ensemble du spectre, historique mais aussi idéologique, incluant les idéologies religieuses autant que laïques.

Après avoir traité dans un ouvrage précédent de la colère comme moteur de mobilisation et d’action politique, l’auteur s’attache à la relation entre terrorisme et vengeance – autre sentiment puissant, d’essence individuelle mais pouvant glisser vers la violence collective. La vengeance se trouve ainsi désignée de « principe justificateur perverti mais surpuissant ».

On pourra reprocher à Myriam Benraad d’insister trop sur l’absence de travaux académiques sur le sujet – lequel fait pourtant l’objet d’un corpus non négligeable. Et pour cause : analyser les « narratifs » de vengeance présente un intérêt évident, y compris dans une démarche de prévention du terrorisme et de la radicalisation, voire de prévention des conflits. L’un des objectifs est de rompre la chaîne des violences en opposant la vengeance, par nature illégale, à d’autres formes de réplique à une agression : la justice, dans un cadre civil, et son pendant militaire, la riposte.

Au sujet de la loi du Talion, citée jusqu’à l’écœurement par la propagande djihadiste, l’auteur rappelle justement que le droit hébraïque a plus cherché à la transcender, par exemple en la remplaçant par des sanctions pécuniaires élevées, qu’à la consacrer.

Même dans un environnement musulman orthodoxe, on trouve peu de soutien argumenté à la vengeance : la charia insiste sur les houdoud, les limites, et le fiqh pose de multiples conditions, par exemple à l’application de la peine de mort – ce dont les djihadistes ne s’encombrent guère.

Le livre est parsemé de graphiques souvent intéressants mais dont on aimerait avoir la source, et qui sont parfois présentés hors contexte et dénués de commentaires. Le chapitre sur le terrorisme suicide est un peu décevant : les Tigres tamouls, dont le rôle a été fondamental dans la promotion de ce mode opératoire, ne sont qu’à peine évoqués. On aurait aussi apprécié de voir traitées les « Veuves noires » de Tchétchénie, pourtant un exemple de terrorisme guidé par la vengeance.

L’un des aspects les plus intéressants de cet ouvrage est de montrer qu’une des chausse-trappes du contre-terrorisme est de rentrer dans une logique de contre-vengeance. La « guerre contre la terreur » qui a suivi le 11 Septembre fait à cet égard figure d’exemple d’opération plus punitive que cherchant à produire des effets sécuritaires. Toutefois, l’élimination de Ben Laden, qui fournit l’illustration de couverture, aurait du mal à être réduite à une « vengeance étatique », de même que celle du « calife » Abou Bakr al-Baghdadi, malgré toute la maladresse de la scénographie organisée par le président Trump.

L’ouvrage se termine sur une opposition salutaire de la justice et de la vengeance, et un sage rappel de la pression que les opinions publiques, rendues d’autant plus vindicatives que l’émotion soulevée par les attentats aura été importante, exercent sur le pouvoir politique.

Nicolas Hénin

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