Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2022 de Politique étrangère (n° 2/2022). Dominique David, rédacteur en chef de la revue, propose une analyse de l’ouvrage de Nicole Gnesotto, L’Europe : changer ou périr (Tallandier, 2022, 316 pages).

Le dernier livre de Nicole Gnesotto constitue d’abord une remarquable leçon sur la construction européenne, sur cette Union aux succès historiques toujours occultés par les difficultés conjoncturelles d’une avancée à 27.

Le bilan est impressionnant, à la fois à l’échelle de l’histoire mondiale et à celle des droits et acquis concrets des citoyens européens : unification politique et prospérité économique d’un continent, affirmation d’une citoyenneté commune, développement des droits, etc. Il faut affirmer sans cesse ces succès pour prendre la juste mesure des cinq grands débats rémanents qui constituent les obstacles les plus visibles aux avancées collectives européennes.

Le débat sur la finalité d’une union censée devenir « sans cesse plus étroite » ; le débat sur l’introuvable défense commune ; celui sur les frontières de l’Union européenne (UE), et donc sur les élargissements à venir ; le débat sur les politiques économiques de ses membres : elles restent nationalement divergentes en dépit de la monnaie unique, et les orientations économiques communes ont toujours échoué à transcroître en véritables politiques de l’Union ; enfin le débat sur la gouvernance et l’évolution des institutions de l’UE.

Débats récurrents, heurtés de plein fouet par l’évolution du monde. Construite pendant la guerre froide, accoutumée à l’abri qu’elle procurait, l’UE a littéralement plongé dans une mondialisation sans règle qui l’a empêchée de prendre la mesure des bouleversements de ces vingt dernières années.

Ces décennies ont chamboulé règles et rapports de force, annulant les repères hérités de la guerre froide et de la période qui l’a suivie, imposant des défis nouveaux, économiques, climatiques ou sanitaires, relativisant l’efficacité de la force des forts, marginalisant progressivement les rêves de gouvernance globale, multipliant les inégalités en dépit des promesses d’une mondialisation heureuse…

Avec son déni du concept même de puissance, ses procédures de décision codifiées dans une admirable lenteur, l’UE peut-elle s’adapter au monde nouveau ? Face à la pandémie, l’Union a exhibé son pire et son meilleur ; et elle se targue, en réaction à l’agression russe en Ukraine, de répondre vite et de toute sa puissance. Et de la puissance, elle en a en réserve…

C’est à sa définition que se consacre la dernière partie de l’ouvrage : « L’Europe en puissance » (intéressante ambiguïté : l’Europe travestie en puissance, ou puissance potentielle ?). Il s’agit bien de définir une souveraineté européenne, synonyme de maîtrise de son destin. Et cette définition passe par un aveu : « faire de la défense européenne une condition indispensable à la puissance politique de l’Union européenne, c’est afficher un chiffon rouge, c’est courir à l’échec ». Il faut plutôt identifier les exigences de l’autonomie (technologique, par exemple), de la défense de nos valeurs fondamentales (progrès collectif, égalité des citoyens, développement des aires stratégiques qui nous entourent…), en mettant en œuvre l’ensemble des moyens dont dispose l’UE, susceptibles de constituer une diplomatie cohérente, et de poids lourd.

Les mois prochains diront si la guerre ukrainienne a montré l’efficacité des choix politiques de l’Union (à travers la force des sanctions et l’aide militaire apportée à Kiev), ou si elle a eu pour simple effet de rejeter les Européens dans le (faux) cocon américain, rendant problématique fût-ce leur affirmation singulière dans l’Organisation du traité de l’Atlantique nord.

Dominique David

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