Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2022 de Politique étrangère (n° 2/2022). Héloïse Fayet, chercheuse au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Vipin Narang, Seeking the Bomb: Strategies of Nuclear Proliferation (Princeton University Press, 2022, 400 pages).

Si les raisons pour lesquelles des États développent un arsenal nucléaire sont connues, les façons d’obtenir la bombe sont, elles, trop souvent considérées comme identiques pour tous les États proliférants.

C’est un constat que pose Vipin Narang, chercheur au MIT et depuis mars 2022 assistant du sous-secrétaire à la Défense pour la politique spatiale, qui étudie ici le parcours des 29 États ayant, depuis 1945, tenté d’obtenir l’arme nucléaire, et propose une théorie des stratégies de prolifération répartissant ces États en quatre catégories.

La première est celle des sprinters, qui ont fait le choix de la vitesse : les cinq premiers États dotés de l’arme (États-Unis, Royaume-Uni, Chine, Russie et France), puis l’Inde. Narang réfute ainsi l’hypothèse classique qui présente chaque État proliférant comme ayant intérêt à acquérir l’arme nucléaire le plus rapidement possible. Ce choix de sprinter ne fut possible que pour les premiers États proliférants, avant que les mécanismes de non-prolifération se mettent en place.

La deuxième catégorie, qui comprend le plus grand nombre d’États, est celle du hedging ou du « pari sur l’avenir » : le développement d’une recherche scientifique permettant d’évoluer rapidement vers une arme nucléaire si besoin. Selon le degré d’avancement des programmes et les facteurs du basculement du pays vers une étape supérieure (notamment l’évolution du contexte sécuritaire), trois types de hedgers sont identifiés : technical hedgers (le moins abouti), insurance hedgers et hard hedgers. Le cas du programme nucléaire militaire français est ainsi étudié : selon la théorie de Narang, la France aurait dû rester dans la catégorie des insurance hedgers grâce à la dissuasion élargie des États-Unis proposée dans les années 1950. Mais du fait d’un manque de confiance envers ces garanties américaines, Paris a basculé de la catégorie des insurance hedgers aux sprinters.

Enfin, l’auteur propose deux dernières catégories, qu’il considère comme les plus susceptibles d’être choisies de nos jours par les États proliférants : la protection (sheltering) et la dissimulation (hiding). Les États « protégés » profitent de la couverture d’un État puissant, lui-même doté de l’arme nucléaire, pour poursuivre leurs programmes. Ce fut le cas d’Israël et du Pakistan, deux États protégés par les États-Unis dans un contexte géopolitique particulier, ou du programme nord-coréen facilité par la Chine. Quant aux États dissimulateurs (Afrique du Sud, Libye, Irak, Syrie…), ils apparaissent comme les plus dangereux, car les plus difficiles à détecter et à contraindre du fait de leur isolement sur la scène internationale.

Seeking The Bomb permet d’aborder le cas d’États dont le parcours proliférant a été oublié (Suède, Suisse, Égypte…). Cette richesse historique permet à l’auteur de dessiner une grille analytique innovante, pertinente pour comprendre les stratégies de prolifération passées mais aussi celles à venir. Dans sa conclusion, Narang envisage ainsi un programme nucléaire militaire saoudien ou taïwanais sous protection des États-Unis, ou encore un programme turc sous parapluie russe. Il affirme aussi que son arbre de décision permet d’identifier les facteurs poussant un État à choisir une stratégie particulière de prolifération : jouer sur ces points de bascule pourrait ainsi permettre de rendre plus efficaces les mécanismes internationaux de non-prolifération.

Héloïse Fayet

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