Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2022 de Politique étrangère (n° 2/2022). Sina Schlimmer, chercheuse au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Monique Bertrand, Bamako. De la ville à l’agglomération (IRD Éditions, 2021, 340 pages).

Plus de trente ans de recherche sur la capitale malienne nourrissent un volume au format original qui propose sur 300 pages plus de 100 tableaux et infographies, une centaine de cartes et de planches, et plusieurs dizaines de photos documentant les multiples variables spatiales, socio-économiques et démographiques de la transformation rapide d’une métropole ouest-africaine en pleine expansion (avec un taux de croissance urbaine de 5 % par an).

En un temps où l’expansion des villes africaines fait couler quelque encre, et où les concepts urbains deviennent de plus en plus abstraits (villes « vertes », « intelligentes », « durables », etc.), la publication d’un atlas monographique, riche en données empiriques, est rafraîchissante : la présentation imagée et cartographiée de l’analyse rend concrètes et presque tangibles les « dynamiques urbaines » à l’œuvre dans la capitale malienne. Le lecteur est immergé dans le quotidien urbain à Bamako, des scènes de vie dans les cours des copropriétés du centre-ville aux transactions foncières dans le cercle périurbain de Kati.

Outre la quantité de données mobilisées (statistiques, recensements, entretiens, observations) et la période couverte (du début du xxe siècle aux années 2010), l’ouvrage croise les approches : l’auteur mobilise les résultats des deux principaux recensements publics de 1993 et 2011, en discute les écueils, puis les complète d’observations qualitatives, notamment sur les pratiques sociales des citadins.

En neuf chapitres, Monique Bertrand présente des analyses fouillées de plusieurs piliers de la vie urbaine. Si les travaux de recherche sur les villes africaines utilisent souvent des focales sectorielles, cet atlas offre au contraire une perspective plus holistique de la transformation d’une ville depuis sa fondation à l’ère coloniale : les différentes parties soulignent les passerelles entre la pression démographique et le rajeunissement de la population urbaine, les trajectoires de migration, les caractéristiques du bâti et les inégalités de l’accès au logement, ou encore l’insécurité foncière d’un grand nombre d’habitants de Bamako et de sa périphérie.

En filigrane, l’auteur expose et réaffirme son regard critique sur la gouvernance de l’expansion de la capitale malienne. Influencée par l’idéologie des organisations internationales, cadencée par les intérêts d’investisseurs et d’élites nationales, et limitée par les faibles capacités et ressources de l’État, cette gouvernance reste défaillante.

Les résultats de cette étude sont exposés dans un texte dense, semé de termes techniques empruntés aux études urbaines. Leur compréhension est donc en partie réservée aux urbanistes, démographes et experts sectoriels, ainsi qu’aux lecteurs ayant des connaissances préalables sur la morphologie de Bamako. En revanche, la pédagogie et la clarté des cartes et infographies, qui constituent la grande valeur ajoutée du travail, rendent les contenus accessibles et plus compréhensibles au public le plus large. Si cet atlas reste un travail monographique sur Bamako, en dépit de l’effort comparatif annoncé en introduction, il propose plusieurs approches méthodologiques susceptibles de nourrir les études d’autres villes et agglomérations : la confrontation de données quantitatives et qualitatives, le croisement des secteurs urbains et l’utilisation de la cartographie sont des pistes prometteuses.

Sina Schlimmer

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