Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2022 de Politique étrangère (n° 2/2022). Hugo Le Picard, chercheur au Centre Énergie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Juan Flores Zendejas, Norbert Gaillard et Rick J. Michalek, Moral Hazard: A Financial, Legal and Economic Perspective (Routledge, 2022, 230 pages).

Cet ouvrage collectif s’articule autour d’un concept économique essentiel : l’aléa moral, qui décrit une situation où une entité économique accroît sa prise de risque lorsqu’elle est partiellement ou complètement protégée de ses conséquences, par un dispositif d’assurance ou par un système de garantie explicite ou implicite.

Sa première partie discute des aspects éthiques, éclairant notamment le débat historique sur la possibilité de séparation entre le prêt de dernier recours et l’aléa moral, et le concept d’ambiguïté constructive. Dans la deuxième partie, les auteurs étudient les liens entre l’aléa moral et la finance internationale, se penchant sur le développement des institutions internationales de prêt de dernier ressort et des agences de crédit aux exportations, à travers le Fonds monétaire international et l’Exim Bank. Enfin, la dernière partie examine les enjeux liés à l’aléa moral dans le secteur privé – notamment bancaire et industriel –, avec l’avènement et le déclin du consortium Renault-Nissan, livrant un récit passionnant des ressorts théoriques de l’affaire Ghosn.

L’un des constats principaux de l’ouvrage est que les préoccupations liées à l’aléa moral ont été largement négligées ces dernières décennies par les autorités publiques et les régulateurs : les problèmes liés à l’aléa moral ont donc crû, s’immisçant dans nos systèmes économiques jusqu’à représenter un danger pour le capitalisme libéral. Les auteurs montrent par exemple que la concentration des secteurs industriels et bancaires a conduit à l’émergence d’entreprises et d’institutions financières dites Too Big To Fail (TBTF), dont la faillite aurait des conséquences si désastreuses sur l’économie que les pouvoirs publics seraient forcés de leur porter secours en cas de danger. L’aléa moral s’immisce dans ce contexte de deux façons. Entreprises et institutions financières se livrent à une course à la taille afin de « devenir TBTF », pour assurer leur survie en cas de difficulté sévère. Et les acteurs économiques atteignant cette position se livrent à des activités plus lucratives mais augmentant leur exposition au risque, sachant qu’en cas de faillite leurs pertes seront renflouées par les pouvoirs publics avec l’argent des contribuables. En dépit de l’aspect discrétionnaire et de l’ambiguïté des décisions de renflouement, il est clair que la multiplication des assistances financières – sans réelles contreparties – aux institutions dites TBTF par les pouvoirs publics ces dernières décennies conduisent, de fait, à leur institutionnalisation.

À la fin de leur ouvrage, les auteurs proposent plusieurs solutions concrètes pour lutter contre le problème de l’aléa moral, qui nécessitent une réelle volonté politique. Or la politique du « quoi qu’il en coûte » lors de la crise du Covid-19 semble plutôt indiquer une tendance politique à continuer d’ignorer ce problème, laissant présager, à la lecture des éléments historiques présentés dans le livre, de quelques tumultes économiques. De par sa clarté, sa richesse et sa finesse d’analyse, cet ouvrage est un incontournable dans son domaine. Sa lecture est donc fortement recommandée pour qui cherche à mieux appréhender l’aléa moral, facteur essentiel à la bonne compréhension de notre vie économique, dans ses phases d’expansion et de crises.

Hugo Le Picard

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