Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2022 de Politique étrangère (n° 2/2022). Denis Bauchard, ancien ambassadeur et conseiller pour le Moyen-Orient à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Xavier Driencourt, L’énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger (L’Observatoire, 2022, 256 pages).
Xavier Driencourt a la particularité d’avoir été ambassadeur deux fois au même poste : Alger, pour la France un des plus sensibles du réseau diplomatique. Il fait un premier séjour de 2008 à 2012 puis un second de 2017 à 2020, ce qui lui a donné, comme le ministre des Affaires étrangères algérien le lui a déclaré, une « longueur d’avance » pour décrypter un pays complexe qui entretient avec la France des relations spéciales, où se côtoient attraction et rejet. L’Algérie n’est pas « un partenaire banal » : compte tenu de l’histoire, sa relation avec la France relève à la fois de la diplomatie et de la politique intérieure. C’est pourquoi ce poste est toujours confié à des diplomates expérimentés. De fait, le témoignage et l’analyse que nous propose l’auteur allient une connaissance approfondie de ce pays, une vraie empathie et la lucidité sur une relation plus tendue que sereine.
Les deux séjours, à quelques années d’intervalle, ont permis de constater une évolution politique et économique préoccupante qui laisse penser que les années à venir seront difficiles. Alors que l’auteur avait vécu lors de son premier séjour dans un pays qui connaissait une certaine stabilité et une réelle prospérité grâce au niveau élevé du prix des hydrocarbures, il se retrouve en 2017 dans un tout autre contexte : baisse des ressources en devises, démographie et urbanisation en pleine expansion, société « angoissée et démoralisée par son enfermement, l’absence de perspective, la corruption grandissante ». Le système est bloqué. Il assiste ainsi à la fin du règne de la famille Bouteflika, à l’irruption en février 2019 du mouvement de contestation, le Hirak, et au début de la présidence Tebboune. Une période de transition qui, même si le Hirak s’essouffle, est loin d’être terminée.
L’auteur fait une analyse fine des regards croisés que se portent les deux pays. Du côté français, la guerre d’Algérie reste d’autant plus présente dans les mémoires que l’on estime en France « à 7 millions, soit quasiment 10 % de la population, le nombre de personnes liées directement ou indirectement à l’Algérie ». Les débats sur l’immigration, le terrorisme ou l’islamisme mettent souvent en cause l’Algérie. Subsiste encore une véritable « imprégnation » de notre vie politique par l’Algérie. De l’autre côté de la Méditerranée se mêlent paranoïa et schizophrénie, et on est persuadé que la France – l’Élysée, la DGSE, l’ambassade – s’ingère dans la vie politique, voire complote contre les intérêts de l’Algérie. La France est repoussoir, bouc émissaire, et aussi référence, modèle, point d’entrée sur le monde : la pression pour obtenir un visa est plus forte que jamais…
Dans le chapitre « Mémoire et histoire », Xavier Driencourt fait le point sur une question particulièrement sensible. Il rappelle les initiatives françaises, depuis Jacques Chirac, pour aller vers une réconciliation, comparable à celle qui a pu être réalisée avec l’Allemagne. La politique des « petits pas » menée par Emmanuel Macron est restée sans réponse, traitée surtout par « le mépris et l’indifférence ». La déclaration du président, exaspéré par cette attitude, dénonçant en octobre dernier la « rente mémorielle » exploitée par les autorités algériennes, a provoqué une crise profonde dans les relations bilatérales.
À lire ce livre, on comprendra mieux un pays qui a reçu plus que d’autres notre empreinte coloniale, et qui reste un sujet de débat de politique intérieure, tant en Algérie qu’en France.
Denis Bauchard
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