Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2022 de Politique étrangère (n° 2/2022). Chloé Berger propose une analyse de l’ouvrage de James Shires, The Politics of Cybersecurity in the Middle East (Hurst, 2021, 312 pages).

Depuis le début des années 2000, la cybersécurité est devenue une dimension à part entière des rivalités géopolitiques et des pratiques de gouvernance autoritaires au Moyen-Orient. Dans son ouvrage The Politics of Cybersecurity in the Middle East, James Shires fait œuvre de pionnier autant que de pédagogue, en explorant les différentes facettes d’une cybersécurité aux contours changeants. En plein essor dans cette région, les technologies cyber y sont devenues un sujet de préoccupation majeur au regard des possibilités considérables qu’elles offrent en matière de développement économique et social.

Les sociétés les plus connectées du monde arabe, telles que l’Arabie Saoudite, les Émirats ou encore l’Égypte, sont naturellement les plus exposées aux menaces créées par la diffusion massive de ces technologies. La contribution des réseaux sociaux à la mobilisation des acteurs du printemps arabe et à la diffusion rapide des messages contestataires à l’échelle régionale a profondément marqué les pouvoirs en place.

Souvent brandies par les gouvernements pour limiter la liberté d’expression des opposants et des militants des droits de l’homme, ou justifier leurs politiques de surveillance, les menaces cyber sont autant le fait de réalités technologiques que le produit de perceptions ou de discours. Ces constructions narratives sont autant des discours de pouvoir que sur le pouvoir. James Shires s’attache à déconstruire leurs rouages, à partir du concept novateur de « manœuvre morale » (moral maneuver), questionnant en filigrane la nature des intérêts en jeu et la légitimité des moyens mobilisés par les acteurs de la cybersécurité. On peut, à cet égard, s’interroger sur la manière dont ces nouveaux instruments de contrôle et de surveillance modifient les priorités sécuritaires des monarchies du Golfe ou de l’appareil politico-militaire égyptien.

En dépit des limites géographiques de l’étude, James Shires brosse le paysage d’une sécurité régionale en pleine mutation : manœuvres offensives, cybercriminalité et atteintes à l’ordre public, prévention des interférences étrangères et lutte contre la désinformation, protection des intérêts publics et de la vie privée des citoyens, etc. Alors que l’on découvre avec intérêt le rôle moteur joué par les acteurs, privés et publics, émiratis et leurs partenaires occidentaux dans la dissémination de ces pratiques « grises » au niveau régional, on peut regretter que la question des contre-pouvoirs ne soit que brièvement abordée.

De même, il est dommage que les perspectives de coopération technologique que laisse entrevoir le rapprochement entre Israël et les acteurs du Golfe aient été laissées de côté. Au-delà, une évaluation des capacités réelles des acteurs en présence aurait permis d’apprécier les risques liés à une course aux armements cyber dans le Golfe. Bien que réputé sans violence, un conflit cybernétique aurait sans nul doute des répercussions majeures sur la stabilité internationale. La multiplication d’incidents cybernétiques affecterait directement la sécurité énergétique des pays européens aussi bien que les échanges maritimes entre l’Europe et l’Asie.

Chloé Berger

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