Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022). Dominique David, co-rédacteur en chef de notre revue, propose une analyse de l’ouvrage de Maurice Gourdault-Montagne, Les autres ne pensent pas comme nous (Bouquins, 2022, 396 pages).

On voyage beaucoup avec Maurice Gourdault-Montagne : dans le temps – la carrière fut étendue –, dans l’espace – au fil des postes et des missions –, dans l’État – des premiers engagements après le concours d’Orient jusqu’aux sommets de la décision.

C’est la force et l’intérêt de ces « mémoires » que de n’en être pas : mais plutôt une succession de réflexions et de témoignages illustrant le « métier de diplomate ».

Sur les rapports entre politique intérieure et politique extérieure – la première restant déterminante pour l’expression de la seconde –, sur le fonctionnement des institutions – entre le Quai, la Primature et l’Élysée –, sur les présidents eux-mêmes – décisifs, mais gouvernés comme chacun par leur propre personnalité –, bref sur la manière dont se crée, se modèle, s’adapte la politique étrangère, ces pages sont précieuses parce qu’appuyées sur une expérience directe et de longue haleine, qui n’est d’ailleurs pas chiche d’anecdotes…

Au-delà des chicanes politiques et institutionnelles, on sera séduit par le voyage planétaire dans lequel nous entraînent ces pages. Avec des développements fouillés sur nombre de pays : Russie, Algérie, Allemagne, Chine, Japon, Inde… sans oublier tous ceux où les missions diplomatiques ont conduit les pas de l’auteur. Sur chacun de ces pays se croisent l’analyse diplomatique et la volonté de comprendre un fonctionnement culturel propre fait d’héritage historique et, simplement, d’attitudes humaines – deux composantes essentielles à saisir pour toute diplomatie, spécialement, par exemple, pour l’Allemagne ou l’Algérie, les relations avec cette dernière étant largement déterminées, au-delà des rapports d’États, par des relations « de peuple à peuple », note l’auteur.

Dans cet ouvrage, qui ne suit pas la chronologie d’une carrière mais la diversité et la richesse des expériences, on se délectera aussi des portraits, voire des classements, des ministres des Affaires étrangères ou des présidents : exercice où l’on sent l’auteur quelque peu tenté de sortir de la pure diplomatie…

Le message fondamental de l’ouvrage est exprimé dès le titre : si « les autres ne pensent pas comme nous », leur manière de penser est respectable, ou au moins inévitable, et il faut les connaître. La diplomatie est donc ce métier de connaissance, d’analyse, de proximité, de partage du vécu des autres. Un métier irréductible à un enchaînement de rapides missions d’experts : un métier héritier de méthodes, de démarches, de réflexes longuement élaborés et reconstruits en permanence par un corps spécialisé de serviteurs de l’État. Il ne s’agit pas simplement de prendre le thé de manière distinguée, mais d’exprimer la nation à l’extérieur et de rapporter à ses institutions la connaissance la plus étendue possible d’un monde où la France est encore vue comme un acteur à vocation globale.

Le livre se clôt ainsi sur une vibrante défense de la spécificité du métier de diplomate, niée aujourd’hui par les réformes des grands corps de l’État, au moment même où l’explosion du monde de l’après-guerre froide demande au pays plus de profondeur, d’agilité et de permanence dans l’analyse internationale. Il ne s’agit pas là d’un discours de défense corporatiste, mais de la description longuement argumentée d’un « métier » plus que jamais contemporain : cette défense et illustration d’un de ses plus brillants représentants devrait être écoutée.

Dominique David

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