Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022). François Renaud, collaborateur du Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage du Rubicon, Les nouvelles formes de guerre (Équateurs, 2022, 144 pages).
Voici un ouvrage à mettre dans les mains de ceux qui veulent comprendre la guerre autrement que par le décompte des pertes et par la simple analyse des manœuvres sur la ligne des combats. Car la guerre ne se fait pas seulement dans le champ physique. Elle se joue aussi sous des formes non cinétiques et dans d’autres « champs et milieux », pour reprendre l’expression consacrée. C’est justement l’intérêt de ce recueil de la collection Rubicon (collectif animé par le Réseau d’analyses stratégiques canadien, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire et le centre Thucydide de Panthéon-Assas) qui propose, au travers d’articles récents, d’éclairer ces autres aspects de la conflictualité.
Neuf analyses sont rassemblées ici, qui s’intéressent à la guerre selon le prisme de « la temporalité, la formation, la cognition, la technologie, la désinformation, la clandestinité, les réfugiés, le virus et le droit ». Ces différents domaines ne constituent pas en propre de nouvelles formes de guerre, comme pourrait le suggérer le titre de l’ouvrage. Ils ont pour la plupart fait l’objet d’une exploitation par les stratèges politiques et militaires. Cependant, ils comportent en leur sein des facteurs susceptibles d’évoluer au gré du contexte géopolitique ou de l’avancée des technologies. Mettre en lumière ces facteurs et leurs conséquences dans ces domaines constitue la véritable raison de cette collection. Il faut remercier la direction du Rubicon et les auteurs d’avoir pris soin d’enrichir leurs articles des observations de la guerre en Ukraine, qui constitue un exemple éloquent des multiples visages de la conflictualité.
Que nous disent ces analyses ? En premier lieu, que l’évolution de ces facteurs impose d’adapter outils et systèmes pour rester compétitif. C’est vrai à tous les niveaux et en particulier celui de la formation des chefs qui est, pour le général Durieux, « d’autant plus aiguë que la guerre change et continue de le faire ». Les nouvelles technologies doivent également être appréhendées. Le général Claesson et Zebulon Carlander en font un impératif de compétitivité pour les « petits États » comme la Suède. Elles possèdent en effet une capacité à niveler les niveaux opérationnels entre deux adversaires.
Néanmoins, cette nécessité d’évolution ne signifie pas pour autant révolution. Tout d’abord, des règles intangibles existent comme le rappelle Julia Grignon à propos du droit international humanitaire. Ensuite, la révolution comporte des risques. Risque, par exemple, de dévier l’outil de sa véritable finalité souligne Matteo Mazziotti di Celso à propos de l’emploi des armées sur le territoire national. Dès lors, la solution réside dans une « approche évolutive » promouvant l’adaptation progressive de l’outil aux facteurs de changement. Olivier Schmitt donne une piste parmi d’autres en évoquant l’idée de synchroniser la prospective politico-stratégique et l’élaboration des systèmes d’armes.
Cet ouvrage a enfin un ultime intérêt : il appuie les efforts de pédagogie du chef d’État-major français qui s’efforce de convaincre par son triptyque compétition/contestation/affrontement que la guerre est de tous les instants. Les articles sur la « galaxie Prigojine », la guerre cognitive et les actions clandestines doivent faire comprendre, à ceux qui en douteraient encore, que le retour de la guerre en Europe n’a évidemment pas commencé le 24 février.
François Renaud
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