Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022). Constantin Lagraulet, collaborateur au Centre Asie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Valérie Niquet, Taïwan face à la Chine (Tallandier, 2022, 240 pages).

Valérie Niquet ouvre sur une fresque historique, rappelant les origines austronésiennes du peuplement de Taïwan, les influences découlant des périodes de colonisation hollandaise et japonaise, l’importance croissante de la diaspora chinoise, jusqu’à l’exil du camp nationaliste. Cette démarche historique est nécessaire à toute analyse de la situation actuelle dans le détroit de Taïwan, car elle permet de comprendre la composition de la société taïwanaise, les relations entre les deux rives et la trajectoire politique de Taïwan sur le temps long.

On comprend par exemple que la « diplomatie des valeurs », menée par Taipei depuis l’élection de la présidente Tsai Ing-wen en 2016, est le fruit d’une culture démocratique « arrivée à Taïwan par l’intermédiaire du colonisateur japonais, qui représentait un modèle de modernité non occidental ». Cette culture démocratique est aujourd’hui prééminente dans l’identité et les revendications taïwanaises.

L’ouvrage retrace bien sûr la trajectoire politique hors-norme de Taïwan, depuis la dictature nationaliste de Tchang Kaï-chek jusqu’au succès du Parti démocrate progressiste. La réussite de cette démocratie dynamique constitue pour l’auteur une spécificité irréductible de Taïwan, qui exclut toute rationalité dans l’unification voulue par Pékin. Valérie Niquet étoffe son propos en présentant les caractéristiques culturelle, spirituelle, démographique et constitutionnelle de Taïwan. Les huit chapitres du livre sont autant de facettes d’un même argument : non seulement ces spécificités éloignent l’île du continent, mais elles rendent le modèle taïwanais supérieur à celui de la République populaire de Chine.

L’auteur consacre ainsi un chapitre au poids économique de Taïwan, insistant sur le rôle important des investissements taïwanais dans le « miracle de la croissance chinoise » et sur les liens économiques entre les deux rives. Puis, méthodiquement, est décortiquée en cercles géographiques concentriques une compétition diplomatique qui voit progressivement Taïwan gagner en légitimité face à une puissance chinoise de plus en plus isolée.

Bien que rédigé avant la visite de Nancy Pelosi à Taipei et les débats au Congrès américain autour du Taiwan Policy Act – que certains voient comme une dissipation de l’ambiguïté stratégique américaine –, l’ouvrage annonce déjà un moment charnière dans la position américaine et les équilibres du détroit de Taïwan. L’analyse renvoie au débat sur la stratégie de défense taïwanaise, qui fait rage à Taipei comme à Washington, dans la mesure où l’aide américaine conditionne la dotation en capacités militaires plus ou moins asymétriques de l’armée taïwanaise.

Le tour d’horizon proposé se clôt donc sur des considérations militaires, comme pour répondre à la question de la fatalité de la guerre. Sont explorés plusieurs scenarii – y compris pacifiques – non tranchés. Mais l’étude souligne surtout que la « guerre hors-limite » chinoise ne se limite pas au domaine cinétique, et peut prendre des formes informationnelles, économiques ou cyber, la Chine exploitant ainsi les failles des démocraties – a fortiori taïwanaise – pour tenter de rééquilibrer le rapport de force en sa faveur.

Constantin Lagraulet

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